Demander aux entreprises, imposer aux chômeurs

25 Nov 2023

Après avoir imposé, contre l’avis de la majorité des citoyennes et citoyens de ce pays, une réforme des retraites qui va entre autres reculs sociaux reculer de deux ans l’âge de départ à la retraite, voilà qu’à présent le gouvernement s’en prend ouvertement aux séniors. Bruno Le Maire a annoncé vouloir aligner la durée des indemnisations des chômeurs séniors, vingt-sept mois aujourd’hui, sur celle des autres chômeurs, soit dix-huit mois.

On peut questionner l’efficacité de cette durée prolongée, cependant, jouer les ingénus quant à sa raison d’être est un peu gros. Car elle n’a pas été décidée au hasard. Elle est là pour protéger les seniors qui ont davantage de difficultés à retrouver un emploi. Embaucher quelqu’un de plus âgé, c’est embaucher quelqu’un qu’il faut, parce qu’il a l’expérience d’une longue carrière, payer davantage, quelqu’un qui est proche du départ en retraite. La logique court-termiste qui consiste à vouloir réduire les coûts pour générer toujours davantage de profits et de dividendes incite davantage à embaucher des jeunes travailleurs, que les entreprises peuvent payer moins cher.

Or, Bruno Le Maire est loin d’être ingénu. Lorsqu’il dit « Est-ce qu’ils vaudraient moins, les plus de 55 ans ? » – non, ils valent plus cher, justement, et il le sait –, quel est donc son objectif ? Sous couvert de valorisation des séniors dont « on a besoin », le ministre de l’Economie et des Finances les rend au fond responsable de leur chômage parfois long, des difficultés à retrouver un emploi, laissant par là-même planer l’idée que, s’ils ne retrouvent pas d’emploi dans le délai commun ce serait parce qu’ils ne le veulent pas.

C’est tout le jeu de ce gouvernement : faire peser la responsabilité du chômage sur les chômeurs eux-mêmes, alors que, comme on pouvait s’y attendre, les demandes du ministre aux entreprises de faire des « efforts » sont restées sans réponse. C’est la logique qui prévaut : demander aux entreprises, imposer aux chômeurs. « L’emploi des séniors », c’est donc un nouveau leitmotiv. Une forme de cohérence se dessine avec la réforme des retraites, puisqu’il faut travailler plus longtemps : il faudra donc bien que les Françaises et les Français trouvent un travail jusqu’à leur lointaine retraite. Comme si cela ne dépendait que d’elles et eux et non pas des employeurs.

C’est que l’échéance du 1er décembre, date à laquelle l’agence S&P doit donner une note à la dette française, se profile. En cas de note dégradée, les conséquences pourraient se faire sentir par une hausse des coûts des emprunts publics. Il faut donc amorcer des économies de bouts de chandelles, et faire baisser les taux du chômage.

Et, surtout, comme l’a dit le ministre lui-même, « Si on ne se secoue pas les puces, il n’y aura pas 5% de chômage »… quand donc ? Mais en 2027, pour la fin du quinquennat ! Cette logique que déploie le ministre est tout simplement insultante. Car ce qu’elle sous-entend, c’est qu’il ne s’agit aucunement de lutter réellement contre le chômage, de permettre un retour à l’emploi, de mieux partager le travail disponible dans de meilleures conditions pour les travailleuses et les travailleurs. Non, c’est une logique comptable qui se déploie là. Il s’agit de remplir un objectif dans un délai donné, quitte à utiliser des moyens malhonnêtes pour cela, quitte à précariser toute une partie de la population. Au fond, pour avoir un beau bilan, il faut simplement sortir les séniors des chiffres du chômage. Peu importe, au fond, qu’ils retrouvent ou non un emploi et dans de bonnes conditions, du moment qu’ils n’apparaissent pas au bilan.

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