Dans l’actualité bouillonnante et malheureusement trop souvent négative, nous « célébrerons » demain les cinq ans d’un mouvement social qui a duré, au plus fort, près d’un an. Le 18 novembre 2018 constituait en effet le lancement de l’acte 1 des Gilets jaunes. Certains se retrouveront d’ailleurs demain sur des ronds-points à cette occasion. D’autres ont abandonné, déçus ou mus par une colère froide.
Comment qualifier ce moment qui a fait date et marqué les esprits ? Des provocateurs diraient que le mouvement n’a réuni, au plus fort de ses manifestations hebdomadaires, que 400 000 personnes. Ce serait méprisant et réducteur car ce mouvement n’était organisé ni par les partis ni les syndicats, et cela constituait une prouesse notable. Il bénéficiait clairement d’un soutien populaire massif.
Lancé sur les réseaux sociaux contre la taxe carbone, injustice sociale au nom du nécessaire impératif climatique, la mobilisation s’est ancrée dans les territoires. La hausse du prix du carburant, déjà élevé, risquait de devenir une double peine. Mais plus que cette taxe, qui n’était que la goutte d’eau d’un trop-plein, le mouvement incarnait un cri contre la vie chère. Son cœur d’action était ces territoires qu’on affuble de jargon pseudo-sociologique (péri-urbain, France périphérique) alors qu’ils sont avant tout la majorité du territoire, qui deviennent trop souvent des zones d’un salariat fragilisé, précarisé de la petite industrie, de la grande distribution, des métiers du soin. Tous ces secteurs qui ont été durement touchés par les politiques libérales de privatisations, de délocalisations. Ce sont ces salariés obligés de prendre leur voiture tant les services publics de proximité ont été détruits, les petits commerces éteints. Ces femmes et ces hommes sont dans les territoires où la présence syndicale est la moins présente, la vie associative si difficile à faire vivre même s’il existe de la solidarité, de l’entraide.
A l’image d’une société qui a du mal à vivre correctement de son travail ou exclue d’une solidarité nationale qui s’amenuise, le mouvement a évolué par des réunions publiques où des milliers de gens ont donné leur avis sur l’impôt, les services publics, l’égalité, la démocratie. Certes, il y avait aussi des éléments qui cherchaient la division et ont voulu alimenter les discours de haine, anti-immigration ; mais réduire les Gilets Jaunes à ceux-là serait une grave erreur. La revendication phare qui est en sortie reste tout de même le référendum révocatoire, devenu référendum d’initiative citoyenne dans de nombreux programmes de l’élection présidentielle en 2022. Le pouvoir a dû entendre cette colère et les 10 000 réunions publiques dans le cadre de la grande concertation nationale, les deux millions de contributions, au parfum de cahiers de doléances, ne peuvent rester lettre morte. De même, ne peut être passée sous silence la répression inouïe, que certains ont découvert alors qu’elle s’abattait sur les mouvements sociaux plus traditionnels (dont les mobilisations lycéennes, étudiantes) et contre la jeunesse des quartiers populaires. Les milliers d’éborgnés, de blessés ne peuvent être oubliés. La répression a fait passer un cap dans la gestion des mobilisations par l’Etat où le désordre et l’insécurité pour les manifestants est devenue la norme, au mépris des droits fondamentaux.
Cinq ans plus tard, la pilule peut être amère pour beaucoup. De nombreuses mobilisations ont eu lieu par la suite, dont celle historique de cette année contre la réforme des retraites. La violence sociale est toujours là, la vie chère également avec une inflation toujours ancrée et qui a plongé 500 000 personnes dans la pauvreté depuis !
Les défis sont immenses. Du point de vue de la Seine-Saint-Denis où je suis élu, le mouvement des Gilets jaunes pourrait sembler lointain car les villes populaires des grandes villes ont été assez peu mobilisées. Nous connaissons où que nous habitons des personnes qui ont participé à une action pour la première fois de leur vie et il est aisé de trouver des convergences avec batailles plus « traditionnelles ». Impacts des politiques néo-libérales, services publics attaqués, emplois précaires et bas salaires : les territoires « péri-urbains » et les banlieues ont du vécu commun. C’est celui d’une classe de ces travailleurs essentiels, ciblés par les politiques antisociales et que les libéraux et l’extrême-droite veulent diviser pour conserver leurs privilèges.
De même, il nous faut avancer pour ne plus opposer l’action sociale et la réponse au changement climatique. Sortir du modèle des énergies fossiles reste urgent et nécessite des efforts massifs. Cela ne peut se faire en pénalisant les plus précaires, mais il nous faut sortir des modèles consuméristes, destructeurs pour notre santé et pour l’environnement. Une écologie populaire est à construire.
Il nous faut trouver les formats de rencontre et d’action pour unir ce peuple toujours là.