La tenue à Paris du One Planet – Polar Summit, du 8 au 10 novembre, un sommet éminemment politique et stratégique mais alimenté par la présence et l’intervention de nombreux scientifiques, ainsi que de représentants des populations menacées par la fonte des glaciers à travers le monde, aurait pu être l’occasion d’une prise de conscience et surtout, de mesures pour lutter contre la fonte extrêmement rapide des glaciers, partout sur la planète.
Car la cryosphère – les régions de la surface de la Terre où l’eau est à l’état solide – couvre 10% de la surface de notre planète. Elle abrite des écosystèmes uniques, et les perturbations qui l’affectent ont une incidence sur toute la planète : la fonte extrêmement rapide des glaciers affecte les cycles de l’eau, quand des populations entières dépendent des glaciers. Ainsi, par exemple, une dizaine de grands fleuves d’Asie prennent leur source dans les glaciers de l’Himalaya. Sans compter qu’ils représentent un patrimoine culturel et spirituel pour beaucoup de peuple, mais aussi une ressource économique (pêche, agriculture et irrigation, etc.)
Surtout, la fonte rapide de la cryosphère causée par le changement climatique provoque un effet de rétroaction : la fonte va à son tour accélérer le changement climatique. Un engrenage extrêmement dangereux, dont nous ne maîtrisons pas les effets ni sans doute complètement la portée. Et dans cet engrenage, l’impact sur la biodiversité – qui a également un effet sur le changement climatique – est également conséquent.
Les enjeux sont cruciaux. L’issue de ce sommet, initié par le Président de la République, aurait dû en être à la mesure. Le Président Macron avait d’ailleurs annoncé que « Ce premier sommet mondial sur les pôles et les glaciers sera l’occasion d’un sursaut à l’échelle de la communauté scientifique, à l’échelle politique, des populations autochtones, des explorateurs, mais aussi à l’échelle du citoyen. Il sera l’occasion d’un engagement à tenir les cibles de l’Accord de Paris (…). »
Ce qu’oublie un peu vite le Président, c’est que les scientifiques n’ont pas besoin d’un sursaut : ils savent déjà. Ils alertent sans cesse. Au cours du sommet, ils ont été unanimes à pointer la nécessité de réduire les émissions de Gaz à Effets de Serre (GES). En revanche, il est vrai que, pour tout l’effet qu’ils obtiennent de « l’échelle politique », il y a de quoi s’inquiéter. Quant aux « cibles de l’Accord de Paris », si elles sont rappelées dans l’Appel adopté par la France, 30 pays et deux organisation internationales à l’occasion du Sommet, le Président Macron a toutefois réalisé l’exploit de ne pas annoncer de mesures de réductions des émissions de GES au cours de son allocution. Concevoir un sommet pour les pôles, lancer un énième appel de Paris, pour les glaciers et les Pôles cette fois, tout ça pour en éviter le cœur, l’élément clef, la source de presque tous les maux : bravo, l’artiste de la communication !
Certes, le Président Macron a annoncé la volonté de fédérer autour de coalitions et de programmes internationaux. Certes, il a annoncé la mise sous protection forte de la totalité des glaciers français – 60% seulement étant protégés en niveau fort en métropole actuellement. Quant aux implications de cette mesure et à sa mise en œuvre, aucune précision ; surtout, cette protection est fondamentalement insuffisante, puisque la meilleure manière de protéger les glaciers consisterait à faire baisser les émissions de GES. Certes, l’Appel pour les Pôles renvoie à l’Accord de Paris sur le climat et indique les effets délétères du changement climatique sur les glaciers ; mais sans mesures concrètes, massives et rapides, tout cela relève, une fois encore, du vœu pieux – tout comme les appels à la création de davantage d’aires maritimes protégées.
Reste cependant une annonce intéressante qui concerne le territoire national, à plusieurs niveaux. Le Président a annoncé investir d’ici 2030 un milliard d’euro pour la recherche polaire, comprenant notamment la rénovation des stations scientifiques Dumont-d’Urville et Concordia en Antarctique, ainsi que la construction d’un navire à capacité glace. En somme, encourager et permettre la collecte de carottes de glaces via le programme Ice Memory pour sauver des données, d’accord ; sauver les glaciers par tous les moyens possibles, et il y en a : non, tout de même, cela mécontenterait les ultralibéraux et les capteurs de profit !
Il ne faut cependant pas oublier une autre dimension fondamentale : les pôles sont des endroits géostratégiques et d’influence. Dans son intitulé anglais, ce sommet n’était pas le « sommet de la cryosphère », mais le « sommet des pôles ». Il n’aura pas échappé au Président Macron qu’une présence française en Antarctique, territoire officiellement sans souveraineté, via les bases scientifiques et un navire, présente des avantages géostratégiques. Il n’a d’ailleurs pas manqué de rappeler qu’il fallait cesser l’exploitation de l’Arctique, qui ne dispose pas du même statut international que l’Antarctique – et la Norvège, principale concernée par ce rappel en Europe, n’a pas signé l’appel. C’était donc bien, au-delà des questions environnementales qui justifiaient le sommet, un rendez-vous diplomatique qu’a initié le chef de l’Etat. Car en filigrane se profilent les enjeux de ressources halieutiques et d’hydrocarbures, dans un contexte de tensions liées aux guerres en cours, notamment entre la Russie et l’Ukraine. Les pôles sont, malheureusement, encore trop envisagés comme des enjeux d’influence et des réservoirs à ressources.
Il ne faudrait pas oublier non plus que le changement climatique et la fonte des glaces peut arranger certains pays. Certaines grandes puissances, comme les Etats-Unis ou la Russie, se sont bien gardées de signer l’appel. C’est que la fonte des glaces ouvre des voies maritimes navigables plus courtes, donc potentiellement plus rentables.
Sur cet échiquier, les pôles sont finalement instrumentalisés, tout comme les enjeux environnementaux. L’humanité n’a rien appris du mythe d’Icare. Puisqu’apparemment il faut le rappeler : ce ne sont pas uniquement les plumes des ailes des deux milliards d’êtres humains dont l’approvisionnement en eau douce dépend des glaciers qui sont menacées, c’est l’humanité tout entière, et tout ce qu’elle entraîne dans sa chute.