Nationalisation d’EDF : le retour d’Hercule ?

14 Juin 2022

Concernant l’avenir d’EDF, le gouvernement Macron — Philippe, Castex, Borne, peu importe lequel —, n’en est pas à son coup d’essai. Après le projet Hercule puis le soi-disant « Grand EDF », sensiblement le même projet d’entité publique pour le volet nucléaire et de privatisation des ENR et des activités lucratives, mais avec une évolution des éléments de langage, voici qu’il évoque à présent une renationalisation de l’électricien.

Renationalisation : ce vocable d’ordinaire honni des néolibéraux et de la majorité (pour quelques jours encore du moins) en marche ! C’est que les libéraux n’aiment guère le public, sauf pour réguler à leur avantage la concurrence et le marché ; et ces dernières décennies, les gouvernements successifs ont surtout mis en œuvre des privatisations et des libéralisations, avec des conséquences désastreuses sur les travailleurs, les emplois et les services publics — France Télécom devenu Orange, la SNCF…

Un revirement inattendu ? Le gouvernement aurait-il compris — enfin — l’importance de conserver le secteur, essentiel et stratégique, de l’énergie ou du moins de l’électricité hors de la loi du marché et des profits avant tout ? Malheureusement, il est permis d’en douter. Ce qui est proposé là n’a rien à voir avec la renationalisation d’un secteur, l’énergie, qui serait enfin considérée comme un bien commun essentiel auquel tous devraient avoir accès, partout sur le territoire ; ce serait trop beau ! Car il s’agit de renationaliser uniquement EDF et non pas Engie, ex-GDF qui historiquement avait en charge le volet gaz. Ce n’est pas non plus le retour d’une entreprise publique intégrée, un monopole dans le giron public afin de garantir sa production et sa distribution à tous.

Non, ce que nous propose le gouvernement, c’est une nouvelle fois un projet néolibéral masqué sous des dehors régaliens et d’intérêt général. Il faut être bien conscient de ce que ce projet, tel que conçu par le gouvernement, implique.

Rappelons en premier lieu qu’EDF est encore à quelques 84% publique, donc l’Etat en est l’actionnaire largement majoritaire. Pourquoi cette urgence subite à renationaliser l’électricien, tout en ne touchant pas au gaz ? Et surtout, comment ? En effectuant une offre publique d’achat des actions détenues par les actionnaires minoritaires, ou par voie d’une loi de nationalisation, symboliquement bien plus marquée ?

Pour comprendre un peu mieux ce qui se joue, il faut prendre en compte une donnée importante : les actionnaires, ce sont les salariés, à un peu plus d’1%, et des acteurs institutionnels à plus de 12%. Et ces actionnaires, même minoritaires, peuvent conserver un pouvoir de nuisance.

Le gouvernement se trouve également dans un contexte particulier de flambée des prix de l’énergie, due à la fois au calcul des tarifs indexés sur les cours du gaz qui explosent, mais également à l’ouverture au marché accompagnée de la création d’une concurrence artificielle dans ce secteur. Or, ces mesures pourraient s’avérer très défavorables à EDF et donc, à termes, aux usagers. C’est-à-dire nous. Car si l’électricien s’affaiblit encore davantage au profit de fournisseurs alternatifs privés qui ne produisent aucune électricité mais se contentent de lui acheter la sienne à bas coût, ce sont à la fois EDF et les usagers relégués au rang de simples consommateurs qui paient, pour le profit des acteurs privés.

Renationaliser permettrait au fond au gouvernement de se débarrasser des éventuels gêneurs, de redorer son image écornée, tout en parachevant le démantèlement du secteur de l’énergie ; l’Etat seul propriétaire pourra revendre ensuite les différents secteurs d’activité d’EDF — commercialisation, ENR, etc. — comme bon lui semble sans plus se préoccuper des avis et obstacles des autres acteurs institutionnels. Se retrouver dans le giron de l’Etat pose nécessairement la question cruciale : de quel Etat ? Dans quelle vision politique pour le pays ? Tout public ne signifie malheureusement pas service public ni égalité républicaine.

En somme, une fois ses banderilles plantées, il ne restera au gouvernement qu’à découper la bête et à en vendre les morceaux les plus juteux au privé. Une perspective qui a un arrière-goût de déjà-vu. C’est le début du retour d’Hercule ; on se croirait presque au cinéma. Dommage que ce soit pour visionner une triste parodie.

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