Dans l’affaire du chlordécone, les magistrats semblent prendre la voie d’une condamnation de fait, non pas des coupables, mais des victimes, c’est-à-dire des Martiniquais et des Guadeloupéens victimes de l’épandage massif de ce produit phytosanitaire dans les bananeraies jusqu’en 1993. En effet, les populations antillaises souffrent toujours des conséquences dramatiques, tant en termes environnementaux qu’en termes de santé, de l’empoisonnement au chlordécone ; pourtant, le dossier risque d’être clos par un non-lieu, sans mise en examen. La raison ? Il serait « trop tard pour agir », en raison du délai de prescription.
Il n’est pourtant pas ”trop tard” pour les pollutions massives causées par ce produit : des sols pour une durée pouvant aller jusqu’à sept siècles, des nappes phréatiques, des rivières, et jusqu’aux eaux côtières, avec pour conséquence des interdictions de pêche.
Il n’est pas ”trop tard” pour que des maladies très graves, voire mortelles, continuent à se développer : cancers (de la prostate, du sein, de l’utérus, des os…), maladies neurodégénératives, insuffisances rénales, polyarthrites-rhumatoïdes, prématurité, stérilité…
La liste est longue et glace le sang, d’autant que plus de 90% de la population est contaminée au chlordécone, selon Santé publique France. Ce sont aujourd’hui des familles entières qui subissent ses ravages.
Mais il serait trop tard pour une reconnaissance des responsables – en somme l’État français –, et des dommages qu’ils ont causés ?
Un petit rappel chronologique et historique s’impose : dès 1968, la toxicité du chlordécone était suspectée par la Commission d’étude de la toxicité des produits pharmaceutiques, qui en préconisait donc l’interdiction. En 1976, cette toxicité est prouvée et reconnue aux États-Unis. Mais en France, il faut attendre 1990 pour l’interdiction, à l’exception des Antilles qui ”bénéficient”, si l’on peut dire, d’une dérogation jusqu’en 1993 – il fallait bien, semble-t-il, écouler les stocks…
En Guadeloupe et en Martinique, le produit fut donc utilisé de 1972 à 1993, en conscience de sa toxicité et au mépris des ouvrier agricoles et de leurs familles particulièrement exposées, puisque non seulement travaillant mais également vivant sur les plantations ou dans leur proximité immédiate. En 1993, il était effectivement ”trop tard pour agir”. Mais c’est l’État français qui en est responsable, et cette injustice, quels que soient les délais, doit être réparée.
Les plaintes pour « mise en danger de la vie d’autrui » a été déposée en 2006. Les magistrats doivent faire leur travail.
Il ne serait d’ailleurs pas ”trop tard” pour que les tests de dépistage des molécules phytosanitaires, très onéreux, soient entièrement pris en charge par la Sécurité sociale, et qu’un plan chlordécone véritablement adapté – à la différence des quatre précédents – voie le jour ; pas ”trop tard” non plus pour améliorer l’offre de soin sur place et prendre en charge les séquelles de ces produits.
Les Antillais craignent un déni de justice : si les magistrats prononcent effectivement le non-lieu, leurs craintes se verront confirmées. Pour protéger l’État français des conséquences deses décisions ?