Après la mort de deux personnes tuées par balle en Kanaky-Nouvelle-Calédonie hier, un gendarme a été gravement blessé à la tête. Nos pensées vont aux victimes et à leurs proches. L’état d’urgence a été décrété par le président de la République il y a quelques heures.
La violence s’amplifie après l’adoption hier par l’Assemblée nationale d’une loi de nature constitutionnelle. Le dégel du corps électoral dans l’archipel est évidemment le sujet de cristallisation.
Ce vote, porté par la majorité présidentielle avec le soutien des forces de droite et de l’extrême droite, acte en l’état la fin du processus inédit de décolonisation dans cette région française du Pacifique.
En repoussant les élections provinciales et en changeant le corps électoral au profit d’une population issue de la métropole, c’est une régression sans précédent et même une remise en cause des Accords de Nouméa de plus de 40 ans.
Ces accords, inscrits dans la Constitution, reconnaissent le droit du peuple kanak et les violences subies durant la colonisation française. Le gel du corps électoral couplé à une forte autonomie locale avaient permis de rééquilibrer les droits avec la population caldoche, originaire de métropole. Cela constituait le début d’une véritable décolonisation pour ne pas rendre minoritaire les Kanaks dans les choix d’avenir, dont celui de l’indépendance.
Malgré de réelles avancées politiques et sociales depuis 1988, les Kanaks restent structurellement discriminés et marginalisés économiquement. Force est de constater que le poids du colonialisme reste prégnant avec ces inégalités en fonction de l’origine. La colère de la jeunesse kanak est le symptôme de cet héritage malgré les conquêtes démocratiques et sociales de leurs aînés.
Le gouvernement n’a de cesse de parler décentralisation et plus grande autonomie aux territoires quand il faut appliquer l’austérité mais reste motivé par une seule gestion répressive et policière et des intérêts géopolitiques dans le Pacifique. En se basant sur les ultras de la population caldoche hostile à une véritable égalité entre toutes et tous, courant qui a été battu aux dernières élections locales, Paris joue un jeu dangereux et revient aux pires méthodes. La proclamation de l’état d’urgence, utilisée presque exclusivement en contexte colonial et déjà dans les années 1980 au moment des événements violents, en est l’illustration.
Après avoir sciemment mal organisé le dernier référendum en pleine crise sanitaire, boycotté par le FLNKS, la majorité présidentielle et notamment le ministre de l’Intérieur mettent le feu aux poudres. Les violences doivent cesser. Le dialogue ne sera rendu possible qu’à la condition de retirer le projet de loi et de bloquer le processus de Congrès en juin prochain. Les forces politiques kanaks, qui ont exigé un moratoire sur la loi en cours d’adoption, doivent être reçues au plus vite par les autorités.
Il n’est pas trop tard pour éviter l’embrasement et construire avec toutes les composantes de la société calédonienne une issue de paix et de réconciliation et de perpétuer ce long chemin vers la décolonisation.