Depuis quelques jours, les pays membres des BRICS + se réunissent à Kazan en Russie. Espace informel de pays émergents et de nouvelles puissances régionales, il se réunit à l’heure d’une mondialisation de plus en plus instable. Quelques semaines après le traditionnel rendez-vous de l’Assemblée générale des Nations Unies, il démontre à quel point les espaces de multilatéralisme et d’échange sans les pays occidentaux se multiplient.
Deux éléments symbolisent ce sommet. D’une part, en accueillant la réunion où presque tous les Etats membres sont représentés par leur chef d’Etat, la Russie de Vladimir Poutine démontre qu’elle n’est pas isolée sur la scène internationale. Le chef du Kremlin a pourtant un mandat d’arrêt international de la Cour Pénale Internationale contre lui pour crimes de guerre commis en Ukraine. D’autre part, c’est le premier sommet depuis l’élargissement de cet espace : les nouveaux membres que sont l’Egypte, l’Ethiopie, les Emirats Arabes Unis, l’Arabie Saoudite et l’Iran donnent plus de visibilité à ce groupe. Représentant presque 50% de la population mondiale et 35% du PIB global, ce forum gagne un poids certain.
D’autres Etats souhaitent le rejoindre mais le processus a été stoppé en raison d’un nombre trop important de demandes. Fait notable, la Turquie, membre de l’OTAN et deuxième armée de l’Alliance, se positionne parmi les futurs candidats.
Est-ce vraiment un conglomérat d’une alliance anti-occidentale, d’un Sud global qui retrouverait une voie tiers-mondiste ?
La réalité est toute autre. A l’heure de la fin de l’hégémonie étatsunienne, chacun des membres des BRICS + trouve ici une opportunité pour avancer ses intérêts propres.
Plus que du multilatéralisme, c’est de multi alignement dont il faudrait parler. L’Inde en est le meilleur exemple. En tension régulière avec la Chine, ces deux puissances en expansion se retrouvent par des intérêts communs dans ce club qu’ils ont co-fondé. L’Inde est à la fois liée à la Russie par ses échanges militaires ou de blé, contournant les sanctions occidentales contre Moscou mais se positionne avec d’autres pays asiatiques et occidentaux contre la Chine. Les Etats dialoguent avec des intérêts divergents mais des projets communs en même temps.
Ils contestent leur manque de représentativité dans les instances internationales notamment au sein du Fonds Monétaire International qui demandent par ailleurs des contreparties trop lourdes en termes de réformes économiques.
C’est la Nouvelle Banque de Développement (NBD), créée en 2014 et présidée par la proche de Lula, Dilma Roussef, qui semble le point le plus avancé de ce forum international et qui attire d’autres Etats. En prêtant à des taux abordables, sans contrepartie de réforme, l’institution financière est jugée attractive. Il s’agit aussi de réduire la place du dollar dans les échanges internationaux et donc vis-à-vis de Washington et des grandes institutions financières. Tous les membres de l’institution ne sont pas d’accord sur les principes alternatifs à ceux du FMI mais ils posent l’idée d’une utilisation de l’argent au service de leurs besoins respectifs. Certains pensent qu’il faudrait créer une monnaie commune quand d’autres évoquent une monnaie virtuelle de type écu qui serait une base de transaction avec les devises locales. Mais si l’exigence de mener des projets souverains est légitime, le fait que la dimension écologique ou d’une autre utilisation de l’argent soient absentes des projets démontre que l’architecture des BRICS n’est pas pour le moment une alternative progressiste.
Quoi qu’il en soit ce type de coopération se renforce parce que l’ordre international tel qu’il est ne satisfait pas les Etats qui prennent une place croissante dans les échanges internationaux.
Cela devrait interroger les puissances occidentales et leurs alliés en Asie ou dans le Pacifique. Le fait que la Russie, agresseuse de l’Ukraine, accueille l’événement démontre que le double standard a laissé des traces sur la scène internationale.
Les BRICS et d’autres espaces internationaux se déploieront tant qu’il n’y aura pas une refondation des institutions internationales.