Etats-Unis : derrière le soft power, une société complexe

4 Nov 2024

Mais pourquoi suivons-nous avec autant d’attention les élections des Etats-Unis d’Amérique ?  Il faut évidemment pondérer puisque ce suivi est surtout le fait d’une classe médiatique toujours prompte à célébrer l’autoproclamé phare de la civilisation et de la démocratie.

Dans une année 2024 où près d’un tiers de l’Humanité a voté pour ses représentants (avec des degrés de liberté effective dans le vote très différents), le suivi de l’élection du 5 novembre nous révèle plusieurs choses.

Tout d’abord, puissance dominante du monde, les Etats-Unis ont un pouvoir d’attraction sans commune mesure. Son PIB pèse pour 26% de la richesses (10 000 milliards de plus que le PIB chinois et neuf fois celui de la France), sa supériorité technologique et militaire encore incontestable. Par son principe d’extraterritorialité, ses lois s’appliquent au-dessus de toute autre institution et donc du droit international. Washington se considère porteur d’une destinée manifeste, d’une supériorité morale.

Le cap politique pris par ce pays a forcément un impact sur le reste de la planète.

Cette domination s’exprime aussi sur le volet culturel. Notre société est fortement imprégnée de contenus culturels issus des Etats-Unis.

Ce n’est pas simplement en raison de la qualité de ses industries mais de leurs poids économique. Les conglomérats du cinéma et de la publicité hier, auxquels s’ajoutent ceux issus de l’industrie de la tech déploient des contenus massifs pour façonner les imaginaires. La domination étatsunienne est donc et surtout aussi idéologique. Le récit du monde étatsunien nous est vendu chaque jour sur divers supports.

Par la musique, le secteur cinématographique, les productions diffusent un modèle de société étatsunien idéal. Elles déploient aussi heureusement les travers de ce pays, ses angoisses. Il y a évidemment une diversité et des approches variées, critiques et brillantes comme certaines (beaucoup d’ailleurs) insipides et franchement médiocres.

Tout cela participe, a fortiori en Europe, de déployer une vision du monde uniquement centré sur le regard occidental. Comme si le reste de l’humanité, qui prend d’ailleurs une importance croissante en termes économiques et politiques, était secondaire…

Nous sommes proches sur de nombreux aspects et fortement imprégnés de logiques de consommation du mode de vie étatsunienne. Cela  contribué à écraser les cultures nationales même si au pays de l’exception culturelle, la France résiste pourtant bien mieux que beaucoup de nos voisins.

Pour ce qui est de la société étatsunienne, la manière dont nous percevons l’élection présidentielle et d’autres sujets masque de grandes complexités d’une société beaucoup plus diverse que ce qu’on nous vend.

Il est intéressant d’y regarder car on dit souvent que ce qui se passe aux Etats-Unis arrive dix ans plus tard chez nous. Panorama de quelques indicateurs intéressants qui ne sont pas les plus valorisés ici pour des raisons bien idéologiques.

Contrairement à ce qu’on croit, les débats peuvent être vifs et… les mobilisations sociales nombreuses. De par leur histoire, les Etats-Unis sont marqués par des luttes puissantes pour l’égalité, la justice sociale. Faut-il rappeler que le 1er mai est un jour, entres autres, en raison d’une mobilisation réprimée dans le sang à Chicago en 1886. A l’heure actuelle, un des grands débats portés par les organisations sociales et défendu même par une partie de l’électorat populaire attiré par Donald Trump est celui d’un salaire minimum décent. Les syndicats de l’industrie mais aussi d’entreprises comme Starbucks, Amazon défendent cette idée par des grèves historiques. Une gauche de transformation sociale se reconstruit et trouve un écho certain dans les franges de la jeunesse.

Plus largement, les débats sur la régulation des industries du médicament autour des prix de leurs produits ou encore d’une ébauche de sécurité sociale (à partir de la généralisation du programme Medicare) font partie du débat public à l’heure où l’espérance de vie baisse depuis 2020 (accentué par la gestion calamiteuse de la Covid-19). Tout cela fait écho à nos débats ici en France sur le partage de la valeur et on se garde bien de nous montrer que des préoccupations similaires existent entre salariés de pays « amis ».

Les mobilisations en solidarité avec la Palestine, dans les campus notamment, sont inédites depuis la guerre du Vietnam. Une génération étudiante entre en politique et refuse la complicité de son gouvernement dans le massacre en cours à Gaza.

Le fait racial, si structurant et vecteur de divisions dans un pays marqué par l’esclavage, est de plus en contesté.

Les luttes sociales en sont un élément d’explication en contribuant à poser un affrontement sur des bases de classe. Cela correspond à d’autres évolutions : des vagues d’immigration issus d’autres régions du monde (sous-continent indien, Pacifique, Moyen-Orient) et la progressions des couples mixtes, plus nombreux qu’auparavant. Cela se concrétise sur le recensement qui prévoit que les citoyens se définissent par leur « race ». Ce type de classement est ainsi contesté notamment par des gens de diverses origines.

Il y a évidemment d’autres sujets plus préoccupants comme la prégnance du port d’armes (42% des foyers en possèdent au moins une) même si la législation évolue dans plusieurs Etats pour en limiter la diffusion.  L’importance de groupes criminels, liés au narcotrafic ou à des groupes suprémacistes, auquel il faut ajouter un secteur industriel qui mène un lobby intense contribuent à la diffusion d’armes à feu, y compris dans les pays voisins. Le risque autoritaire en cas de victoire de Donald Trump est réel. Il ne doit pas masquer que la société étatsunienne bouge et est traversée par des contradictions, des débats que nous devons aussi saisir pour nos luttes ici.

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