1924 Jaurès au Panthéon – 2024 Jaurès avec nous pour changer le monde

2 Déc 2024

Bonjour à tous et tous,

Je suis ravi d’être ce soir à vos côtés et je tiens à remercier chaleureusement Sébastien Vincini pour cette nouvelle invitation et célébrer avec vous le 100ème anniversaire de la panthéonisation de Jaurès.  

L’an dernier, une journée similaire avait donné lieu à la publication d’un très bel ouvrage collectif ‘’Guerre et Paix dans le monde, du XIXème siècle au XXIème siècle’’ publié aux Editions Privat avec l’aide notamment de l’Humanité.

Historiens, politologues, journalistes, nous avions tous contribué à analyser les conflits dans le monde, au cours des deux derniers siècles, et surtout abordé la difficile recherche et conquête de la paix.

De l’assassinat à la panthéonisation de Jaurès, des défis posés à la gauche.

Notre trait commun ici, ce qui nous lie malgré nos différents profils et sensibilités, c’est la figure de Jaurès. Celui qui a tant inspiré et continue plus de 100 ans après sa mort, à être une référence incontournable pour toutes celles et tous ceux qui aspirent à la paix.

Jaurès, par son assassinat, aura finalement échappé à cette guerre, qu’il a cherché toute sa vie à empêcher.

Ce 31 juillet 1914, Jaurès, le dreyfusard, le républicain, le socialiste était une cible de choix : en le touchant lui, on a voulu montrer à la société que le choix des armes était alors inévitable.

Son assassinat déclencha à ce titre un véritable séisme et avait un but politique clair : casser le front fragile des pacifistes et des organisations ouvrières qui savaient qu’elles constitueraient la chair à canon.

La suite, on la connait avec une guerre qui embrasa toute l’Europe. 

Le 31 juillet 1924, dix ans jour pour jour après l’assassinat de Jaurès, un projet de loi de panthéonisation est adopté à l’Assemblée et au Sénat suite à la victoire du cartel des gauches aux élections législatives deux mois auparavant.

Sa panthéonisation aura lieu précisément le 23 novembre 1924. Ce moment fut à la hauteur de l’émotion provoquée par sa mort.  

Mais il fut également source de tensions. Cette panthéonisation, au-delà des critiques attendues de la droite de l’époque, fut également critiquée par certains communistes, dont le député Jean Renaud, qui y voyait une confiscation du corps de Jaurès et une récupération. Cela a été dit par les camarades historiens qui ont précédé nos interventions, mais cette appréciation divergente allait loin, puisque le jour de la panthéonisation, deux cortèges, dont l’un communiste, se font face. 

Paul Vaillant-Couturier déclara même : « En défilant devant le Panthéon, saluez, avec le souvenir de Jaurès, l’un des plus sanglants combats de la Commune. La bourgeoisie de Versailles est toujours au pouvoir. Vous ne l’en chasserez que les armes à la main »

La SFIO réplique le même jour par la voix du journal Le Peuple : « La rupture est désormais complète entre les démocrates et les socialistes, unis pour réaliser l’idéal de Jaurès, et les agents de Moscou, auxiliaires de toutes les réactions. Ces gens-là n’ont rien de commun ni avec le véritable peuple, ni avec la pensée de Jaurès. Qu’on les laisse désormais à leur triste rôle. Nous n’avons rien de commun avec eux. »

Ce moment d’importance nationale aurait dû être un moment de rassemblement et fut, au contraire, source de discordes politiques, au grand jour.

La paix, quête éternelle et combat politique.

Néanmoins, Jaurès reste une figure tutélaire inspirante pour toute la gauche, encore aujourd’hui.

Dans ce contexte de fortes et multiples tensions internationales, se souvenir de Jaurès et sa recherche de la paix est salvateur.

Je précise que Jaurès ne rejetait pas la guerre par principe : il refusait seulement la guerre de conquête et d’oppression des peuples.

Lors de la journée de l’an dernier, j’avais abordé la question de la paix comme projet politique, en rappelant, et je veux le redire à nouveau, que la paix ce n’est pas l’absence de guerre.

C’est un état de sécurité qui permet l’émancipation totale des peuples, débarrassés de toute oppression, discrimination, exploitation et mise en concurrence entre eux.

La paix, c’est également la possibilité de vivre dignement, de manger à sa faim, d’avoir accès à l’eau, à l’énergie, à la culture etc. Cela pourrait apparaitre comme étant la base, le minimum vital et pourtant on sait bien que ces biens communs, ces droits sont quasi inexistants voire totalement inexistants en zone de conflit.

C’est ainsi qu’il faut concevoir le concept de paix véritable évoquée par Jaurès.

Ce projet se situe aux antipodes des intérêts capitalistes, des profiteurs de guerre qui ont pour objectif l’accaparement des richesses et la mise en concurrence.

Comme le résumait très bien Rosa Luxembourg, « le militarisme est devenu un domaine d’accumulation du capital »

Les dépenses militaires mondiales atteignent un record et représentent 2 443 milliards de dollars en 2023, soit près de 7 % par rapport à 2022.

La France est devenu le 2ème pays exportateur mondial d’armes lui conférant une immense responsabilité dans cette dynamique inquiétante.

Quand on sait que les Objectifs du développement durable qui visent à répondre aux grands défis de l’Humanité, comme la faim dans le monde, le réchauffement climatique, l’accès aux droits fondamentaux sont évalués à 2 500 milliards, on se rend compte du gâchis qui nous est imposé.

La récente loi de programmation militaire 2024-2031 et ses 413 milliards d’euros est une illustration supplémentaire de l’impasse dans lequel les dirigeants actuels nous emmènent. Sans être naïfs sur les impératifs de défense de la nation, cette loi ne tire aucune leçon du passé récent ou plus ancien.

La militarisation et le surarmement, singulièrement en Europe, ont toujours préparé la guerre et bien pire encore, jamais la paix.Comme le disait Jaurès, « on ne fait pas la guerre pour se débarrasser de la guerre. »

Ces propos font écho à la situation que nous vivons aujourd’hui, où les dominants donnent la parole aux belliqueux dans les médias, où l’esprit de mobilisation de guerre, de discours va-t-en guerre est permanent.

Le vocabulaire de la guerre est partout. Pour combattre un virus, pour relancer la natalité, pour régler les problèmes sociaux ou désigner une fraction de la population jugée dangereuse par son profil social, sa religion supposée.

La militarisation de la gestion du maintien de l’ordre dans les mouvements sociaux, le discours d’ordre pour une jeunesse qu’on veut élever au drapeau et à la discipline quand l’Education nationale et la prévention se désagrègent chaque jour.

Le contexte international est l’opportunité pour installer une économie de guerre, faisant passer la logique du surarmement et des profits de certains secteurs économiques au-dessus des besoins sociaux.

Pour nous, pacifistes, héritiers de Jaurès, la logique belliciste sous toutes ses formes doit être combattue. Elle prend sa source et se renforce dans le lit du nationalisme, du repli sur soi identitaire, du racisme qui conduisent à des injustices et des discriminations jusqu’à la haine.

Et nous avons depuis de longs mois deux préoccupations majeures. La 1ère concerne l’Ukraine et la guerre menée par Poutine contre la population Ukrainienne. Nous le disons clairement et sans ambiguïté, Poutine est responsable de cette situation. Il a fait le choix délibéré de la voie militaire pour asseoir une domination régionale. Ils a plongé l’Europe dans une phase de tension maximale et les ukrainiens dans l’horreur quotidienne.  

En France, ses amis sont ceux du RN, de Reconquête, de groupuscules fascisants qui théorisent avec la défense de la race blanche dans l’espace eurasien et fanfaronnent dans les rues de Paris.

Et je veux dire ici qu’il faut arrêter la vente d’armes à l’Ukraine pour enfin sortir de cet engrenage infernal.

Notre deuxième préoccupation se porte sur la Palestine.

Notre rencontre de l’an dernier se déroulait quelques semaines après l’attaque du Hamas du 7 octobre. Nous étions et nous sommes malheureusement plus d’un an après, toujours bouleversés par les horreurs quotidiennes subies par la population palestinienne et particulièrement les Gazaouis, par le sort des otages israéliens, et plus récemment par le peuple libanais.

Ce conflit qui s’étend et s’enlise est le symbole même d’un éloignement progressif de toute perspective de paix, d’un, de violations répétées du droit international. Ce conflit majeur cristallise tous les ingrédients et met en lumière, sous nos yeux, toutes les dérives géopolitiques actuelles. La réélection de Trump ne va rien arranger.

Plus généralement, je veux rappeler ici qu’il y a actuellement 56 guerres en cours en divers endroits de la planète, si bien qu1/3 de la population vit aujourd’hui dans une zone de conflits.

Pour notre part, nous avons toujours été pour la paix, sans géométrie variable, nous ne faisons aucun tri. La guerre n’est jamais une option pour les pacifistes que nous sommes.

Il est urgent de reconstruire un mouvement pacifiste, populaire, massif. Un front large pour dire non aux commerces des armes, aux interventions militaires qui ont toutes échoué à réduire les objectifs proclamés. Parce que les guerres ont libéré des forces destructrices, identitaires et fascisantes.

Construire le projet de paix, une politique pour la paix, c’est mettre au cœur des décisions démocratiques le partage des richesses, la mise sous bien commun des éléments indispensables à la vie humaine.  Face au péril militariste, il est vital de bâtir un multilatéralisme par et pour les peuples.

Il faut également refonder les institutions internationales pour faire entendre ce chemin et préparer les défis qui nous attendent.

Il faut réaffirmer avec force le désarmement nucléaire qui redevient dans les relations internationales un instrument de menace inquiétant.

Tout ceci fait écho à la conception pacifiste de Jaurès et la poursuite de ses combats.

Tout ceci montre que nous nous aurions tant besoin de Jaurès lui-même aujourd’hui, même si son œuvre reste bel et bien vivante et que chacun ici la fait vivre à sa manière, pour que le camp de la paix l’emporte.  «  L’affirmation de la paix est le plus grand des combats » disait-il encore.

Le combat toujours contemporain pour une presse indépendante et une république sociale

Bien sûr, en tant que Directeur de l’Humanité, au-delà du combat pour la paix, je veux également insister sur l’apport de Jaurès en tant que fondateur du journal il y a 120 ans. Son but était de permettre à la classe ouvrière de disposer de son propre journal, pour relayer ses combats, l’informer, participer au mouvement des idées socialistes.

Il faisait déjà le constat que la presse était détenue par la bourgeoisie, tout comme l’est le combat pour la lecture. Plus que jamais, ce combat est d’une cruelle actualité. La concentration des médias dans les mains de multimillionnaires réactionnaires est un désastre pour notre démocratie et un danger pour le pluralisme de la presse. L’équilibre, la nuance, la confrontation d’idées n’existent plus.

Jaurès avait compris qu’informer est un droit. Et que le pluralisme de la presse est consubstantiel de la démocratie et doit être garanti. Il n’existe pas de démocratie complète sans citoyen éclairé. La presse a donc un rôle majeur à jouer, et sa liberté, doit être assurée par l’Etat, à travers aujourd’hui les aides à la presse, sans souffrir d’aucune pression.

Dans ce contexte, et depuis la création par Jaurès, notre existence et notre développement en tant que journal libre et indépendant des puissances de l’argent est un enjeu fondamental.

Nous savons que l’impact des mots, la préparation idéologique aux idées de haine et de conflits alimentent les violences.  Les médias de masse sont nés au 20e siècle et ont participé à l’attisement des sentiments nationalistes, des discours martiaux de pouvoir totalitaires.

Dans le sillon tracé par Jaurès, notre but est donc de poursuivre et d’amplifier la bataille des idées, préalable à toute victoire électorale durable, et, lutter contre une guerre idéologique et culturelle menée par l’extrême droite.

Enfin, plus généralement, nous ne voulons pas simplement saluer sa mémoire mais la faire vivre, créer un lien avec le courant d’idées qu’il incarnait : celui d’une certaine idée de la République sociale et réellement démocratique, d’un socialisme, d’un projet de société révolutionnaire libérant les forces du travail.

Relire notamment les éditoriaux cela met en lumière les débats et les luttes de l’époque, encore à l’aube du syndicalisme : âge de départ à la retraite, droit au repos hebdomadaire, condition de travail dans les mines, droits de vote des femmes, services publics etc. Autant de marqueurs forts d’une gauche de transformation, qui résonnent aujourd’hui encore à l’heure du Nouveau Front Populaire, de la nécessité d’un rassemblement le plus large possible et des enjeux qui sont posés aujourd’hui à la gauche dans son ensemble pour à nouveau convaincre de sa capacité à gagner.

La situation renforce notre détermination à œuvrer pour faire émerger le progrès social, une république sociale, laïque et démocratique, mettant à mal le système capitaliste.

Parce qu’en tant que forme d’organisation, la république favorise la dignité pour toutes les personnes de la nation, elle est un modèle qui a inspiré les régimes démocratiques à travers le monde. La république politique est née en 1789 avec la proclamation souveraine des droits fondamentaux qui a donné à tout individu, indépendamment de ses origines sociales, la même dignité et les mêmes droits.

Ce socle est fondamental. L’attaquer menace la République. Nous nous situons précisément dans ce moment-là. Les politiques ultra libérales de ces dernières années ont fragilisé les fondements de notre société, ont abimé la classe ouvrière, lasse de subir, de perdre des droits.. Nous vivons un point de bascule, un point de rupture, qui a bien des égards, présente des similitudes avec les grandes années Jaurès.

Tout le combat politique de Jaurès visait l’avènement d’une république sociale et le pacifisme. Deux concepts inextricables, qui s’alimentent, deux objectifs toujours à atteindre et d’une lucide actualité. Jaurès atemporel. Jaurès éternel.

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