La commémoration de la troisième année de guerre en Ukraine coïncide avec un arrêt possible des combats. Nous devrions nous féliciter d’un cessez-le-feu et de négociations de paix potentielles. Il n’est malheureusement rien car ce qui se joue sur le théâtre ukrainien porte les germes de conflits de demain.
Le processus en cours n’est pas la fin de la guerre ni encore moins le début d’une paix. Donald Trump est en train de donner les clés de la région à Vladimir Poutine. Voyant son homologue russe comme un modèle, le locataire de Washington fait sienne la loi du plus fort. Après trois ans de guerre, près d’un million de soldats tués ou gravement blessés, le scénario trumpien constitue le pire des projets. Il justifie, par des négociations bilatérales centrées uniquement sur les intérêts de grandes puissances, l’intervention militaire russe au nom d’un réalisme froid. Les intérêts ukrainiens sont mis de côté avec des pertes territoriales et de la maitrise d’un destin national pour un pays victime d’un marchandage honteux.
Car oui, c’est de cela dont il s’agit. La perte de près de 20% du territoire, une vente des terres rares pour l’industrie de la tech, une reconstruction au service des conglomérats étatsuniens, pas d’adhésion à l’OTAN et une possible entrée dans l’Union européenne.
En plus du peuple ukrainien, évidemment grand perdant, les pays européens subissent un camouflet retentissant. Réunis en urgence lundi dernier par Emmanuel Macron à Paris, le Vieux continent est dans la sidération. Le protecteur d’Outre-Atlantique devient l’ordonnateur. En plus d’être écartés des discussions, les pays européens sont sommés de se protéger eux-mêmes… avec l’armement étatsunien. Le ministre de la Défense étatsunien avait en effet appelé il y a quelques jours ses « amis » de l’Alliance atlantique à augmenter leurs dépenses militaires, passant de 2% à 3 et à terme 5% du PIB. En somme, il s’agit de construire une économie de guerre.
Les Trumpistes n’appliquent que leurs principes d’humilier un « partenaire » affaibli et divisé. Les Européens sont en effet divisés entre eux, partagés entre inféodation totale à Washington, nationalistes-populistes et libéraux aveugles. La séquence actuelle permet de rassembler les deux premiers courants, principalement présents en Europe centrale et de l’Est.
Ce sont mêmes des gouvernements et des forces politiques en passe d’arriver au pouvoir dans d’autres Etats du continent (avec le soutien affiché d’Elon Musk, de JD Vance) qui partagent le récit russe d’une guerre provoquée par les Ukrainiens.
L’initiative d’Emmanuel Macron de réunir les partisans européens d’une autonomie stratégique sonne comme un aveu d’impuissance pour l’instant. Quelle autonomie alors que les Etats européens, qui ont instauré le programme européen pour l’industrie de la défense (EDIP) en soutien à l’Ukraine, se déchirent sur la production des armements au profit des industries d’Outre-Atlantique ?
L’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne, comme seule perspective de sécurité pour Kiev, serait irresponsable en l’état au regard des conditions économiques et sociales dans ce pays. Les élargissements ne sont en l’état que des occasions de libéraliser toujours plus l’économie et de déréguler au profit du capital. Si les organisations syndicales ukrainiennes portent légitimement une adhésion à l’Union européenne au regard de leurs standards nationaux, il faut d’abord réorienter cette construction et aider dès maintenant le peuple ukrainien. Rejoindre l’UE ne peut être un lot de consolation à somme nulle pour tout le continent.
Si le pacte russo-étatsunien était adopté, l’éventuelle sécurité ukrainienne serait dévolue à une présence militaire européenne, au bas mot composée par 200 000 soldats sur la ligne gelée du front. C’est une pure folie si ce scénario se déroulait ainsi. De cette paix du plus fort n’émergeront que les conflits de demain avec des conséquences beaucoup plus graves. Qu’arrivera-t-il en cas d’incident militaire entre des armées européennes stationnées sur le territoire ukrainien et la Russie ? Pratiquer la politique du fait accompli alimentera par ailleurs les velléités du Kremlin de poursuivre la déstabilisation de l’Ukraine et d’autres Etats de la région. Nous parlons d’un accord imposé par un dirigeant, en l’occurrence Vladimir Poutine, inculpé pour crimes contre l’Humanité.
Si troupes de maintien de la paix il y a, elles doivent être internationales. A ce titre, la paix trumpo-poutinienne, alliance des nationalismes conservateurs, porte en elle les germes de conflits plus dévastateurs. Le droit international est clairement piétiné. Comme au Moyen-Orient avec Israël son gouvernement dirigé par Benyamin Netanyahou, les Etats-Unis imposent un rapport de force en faveur des agresseurs, des impérialistes, des colonialistes. Washington veut « régler » les divers conflits, considérés comme gênants, pour prioriser son action dans une rivalité dans la zone Pacifique contre la Chine. Ce duel porte en lui de grandes menaces, que refusent d’ailleurs de nombreux Etats.
La France devrait relayer cette voix avec un discours indépendant, courageux et fort. Elle nécessiterait d’inclure dans le dialogue des partenaires mondiaux, des pays du Sud global qui ont été les premiers à proposer des plans de négociations : Brésil, Afrique du Sud, Inde mais aussi Turquie, proche voisine des deux belligérants à propos de la guerre en Ukraine.
L’action des forces de paix doit être vive, déterminé et ne pas rester spectatrice de ces événements tragiques en France, en Europe et au-delà.
Une paix véritable, juste et durable, ne peut se faire au détriment de l’intégrité territoriale des Etats. Un plan de sécurité européen n’émergera qu’à partir des besoins des peuples dont ceux des peuples russe et ukrainien.