Pendant trois longs mois et 84 auditions de personnalités, j’ai rendu le 30 avril 2024, avec Madame Sophie Primas ainsi que Messieurs Thierry Meignen et Jérôme Darras, le rapport de la mission d’information consacrée à l’avenir d’ATOS .
Ce fleuron français de l’informatique compte près de 11 000 salariés sur le territoire national, 100 000 au niveau mondial, répartis sur 25 entités juridiques, et réalise 25% de son chiffre d’affaires dans le secteur public ou parapublic.
Le groupe s’articule autour de 4 pôles d’activité : les infrastructures, la transformation digitale et l’information en cloud, la cybersécurité mais aussi le calcul haute performance.
Il est responsable des logiciels essentiels au fonctionnement de nombreux services publics. Alors que si peu de Françaises et Français connaissent ce groupe, il agit pourtant dans leur quotidien : le portail numérique et sécurisé de la sécurité sociale, des JOP et du futur Grand Paris Express, mais aussi dans des ministères dans le domaine régalien comme les douanes et agit aussi sur des enjeux de souveraineté stratégique, comme les supercalculateurs dans le domaine nucléaire et militaire.
Désormais, ATOS va mal, très mal… Le groupe est confrontée à d’importantes difficultés financières depuis des années. Face à cette situation, deux commissions du Sénat ont donc décidé début 2024 de se pencher sur les raisons de cette dégradation, afin de proposer des pistes de sauvetage.
ATOS c’est l’histoire d’un colosse aux pieds d’argile, dont on peut clairement distinguer deux périodes : la présidence de Thierry Breton, et l’après.
Thierry Breton aura été président et directeur général de 2008 à 2019. Sous sa direction, l’entreprise avait une vision industrielle, que l’on peut discuter, mais qui existait.
Sa stratégie a surtout consisté à une croissance externe, en rachetant de multiples entreprises : Share, Siemens, Bull, Unify, Z Data, Syntel …
Certains des auditionnés ont d’ailleurs contesté la pertinence de certains rachats, ou les prix d’acquisition qui auraient mis en difficulté l’entreprise. Il y a d’ailleurs un débat, entre les différents acteurs du dossier, sur le niveau et la structuration de la dette au départ de Thierry Breton.
Ce qui semble à peu près sûr, c’est qu’au contraire d’autres concurrents, ATOS a refusé de faire de l’offshoring en Inde, et des restructurations – c’est-à-dire des licenciements – ce que nous ne pouvons que soutenir.
Ce qui est sûr également, c’est que la succession de Thierry Breton n’était peu ou pas préparée et qu’à son départ, on entre dans la deuxième phase de l’histoire du groupe : celle de la valse des dirigeants, et d’une instabilité qui va le faire passer d’une stratégie industrielle à une stratégie purement financière, de court terme.
Six directeurs et deux présidents se sont succédés en l’espace de 4 ans, parfois en prenant de gros chèques pour quelques mois en poste ; la faiblesse du conseil d’administration a également été pointée par quelques industriels, et ne fait pour le coup, aucun doute pour ma part.
Enfin, il est à noter l’intervention de banques d’affaires et de cabinets de conseils pour scinder l’entreprise en deux, dont la vision stratégique n’apparaît toujours pas, en prenant au passage des commissions élevées.
Le résultat, c’est une dette colossale de 4,9 milliards d’euros, et un effondrement de sa côte en Bourse. Aujourd’hui, la question est d’en sortir : ce qu’il faut éviter, c’est la vente à la découpe ou par appartements.
L’Etat se décide enfin à agir et vient de proposer de nationaliser les activités stratégiques via l’Agence de Participation de l’Etat.
Oui mais pour le reste ?
Daniel Kretinsky, qui avait abandonné son projet de reprise après avoir négocié pendant 6 mois, serait à nouveau candidat à l’acquisition de la partie Tech Fondation.
David Layani, déjà actionnaire de référence, voudrait quant à lui racheter l’ensemble, mais la question des moyens de sa réussite se pose.
Avec mes trois collègues, nous prônons une série de mesures, notamment que le groupe ne soit pas démantelé, et que toute offre de reprise le soit pour l’entièreté du groupe. L’ensemble des profils des acheteurs devra être étudié attentivement, en particulier pour les investisseurs étrangers.
Nous demandons également qu’ATOS conserve l’ensemble des contrats et des missions du groupe auprès des services publics et parapublics, cela nécessitant que l’Etat entre au capital d’ATOS, avec une participation minoritaire pour superviser les activités stratégiques et sensibles et une prise de participation majoritaire pour les activités technologiques souveraines.
Enfin, des exigences pluriannuelles de préservation de l’emploi et de l’outil industriel pour les repreneurs intéressés doivent être imposées.
Tout ceci est indispensable pour éviter un désastre industriel dans ce secteur stratégique.