C’est une bien triste nouvelle qui nous parvient d’Argentine. Javier Milei, économiste médiatique, a été élu président de la République d’Argentine ce dimanche 19 novembre. Au terme d’un scrutin prévu comme indécis, le fantasque candidat d’extrême-droite finalement assez aisément face au ministre de l’économie du gouvernement sortant Sergio Massa.
Plongé dans une crise économique, le pays saute dans l’inconnu…enfin presque. La montée en puissance de ce candidat victorieux ne peut être considéré comme une grande surprise. Plébiscité dans le cadre du système des primaires au printemps dernier, cet économiste a bénéficié d’une couverture médiatique intense qu’il connait bien puisqu’il était chroniqueur d’émissions où il était coutumier de propos outranciers et menaçants contre les forces progressistes. Comme dans de nombreuses démocraties, les candidats populistes ont les faveurs des réseaux sociaux et des médias, d’une partie de classes dominantes même qui radicalisent leurs positions pour servir leurs intérêts économiques. Dans un monde où des Bolsonaro, des Trump ont été élus, on ne peut plus parler de surprises.
En proie à de régulières crises économiques, conséquences des soubresauts commerciaux mondiaux et d’un système financier inféodé au Fonds monétaire international, la population argentine a subi de grandes difficultés. Il faut dire que le plan d’ajustement structurel est une cure d’austérité d’une violence inouïe. La crise de la Covid-19 a été brutale tout comme les effets du réchauffement climatique qui ont impacté la production agricole importante dans le pays avec une sécheresse historique. Alors que le plan néolibéral promu par l’institution internationale devait favoriser un environnement économique pour le milieu des affaires, les capitaux sont partis, la monnaie nationale a été plusieurs fois dévaluée avec une dépendance au dollar quand le déficit budgétaire s’est creusé. Résultats : le contraire des avancées promises ont provoqué hyper inflation, violences sociales et une pauvreté qui concerne désormais 40% de la population.
La dépendance de l’économie au dollar a accentué l’inflation car l’indexation du peso argentin envers le dollar a été fatale. La remontée des taux d’intérêt voulue par la Banque centrale des Etats-Unis pour des raisons domestiques a des impacts dans le monde entier et a fortiori dans les pays qui prennent cette monnaie en référence. C’est ce qui a expliqué la volonté du gouvernement argentin sortant de rejoindre les BRICS en voulant développer un système financier plus juste et libéré du dollar. C’est le principe d’une monnaie commune travaillée avec le Brésil notamment.
C’est le gouvernement Macri, ancien chef d’Etat de 2015 à 2019 et magnat de l’industrie, qui avait imposé cet accord économique en imposant un programme néolibéral d’une rare violence sociale avec son lot de privatisations. Le mouvement social a été le fer de lance de la résistance et de l’alternance pour battre le candidat du capital afin de porter un candidat péroniste de gauche. Le gouvernement sortant n’a pas su rompre avec la logique néolibérale, étreint par l’accord du FMI qu’il a renégocié comme il le pouvait. Il est apparu comme le gouvernement d’un système à renverser.
L’élection de Milei rompt avec une tradition d’un courant péroniste, jugé illisible avec notre regard européen, mais qui est un courant d’opinion historiquement fort dans le pays où l’idée d’un développement national maitrisé par l’Etat faisait consensus. Avec un peuple déboussolé et qui est dans l’incertitude quotidienne, le discours radical fait mouche en trouvant des ennemis faciles à identifier.
Le sentiment d’une partie de la population de tourner la page d’un consensus qui ne répond plus aux besoins sociaux a permis l’émergence d’un populisme ravageur et attrape-tout. Car derrière l’aspect clownesque du personnage, c’est un programme brutal antisocial où des coupes budgétaires sont promises à tout-va que même certains capitalistes trouvent inquiétants comme la suppression de la Banque centrale ou la dollarisation totale de l’économie. Des mesures régressives s’y ajoutent comme l’interdiction de l’avortement ou la suppression de libertés publiques. Toute contestation est déjà présentée comme criminelle.
La cure d’austérité va être rude d’autant plus qu’accompagnée de la fille d’un ancien militaire à la vice-présidence, Victoria Villaruel, ce sont les vieux démons de la société argentine qui réapparaissent. Le binôme nouvellement élu a ainsi fait preuve d’un négationnisme inquiétant, minorant les affres de la dictature militaire qui a fait des milliers de morts et disparus. Alors que la société argentine avait avancé vers un travail mémoriel et de reconnaissance important, c’est un retour de méthodes violentes qui est relégitimé par cette opération de réhabilitation. Les organisations progressistes et de gauche ne le savent que trop bien et avaient appelé à barrer la route à cette extrême-droite qui ne dit pas son nom et qui avait le soutien d’une bonne partie de la droite et des milieux d’affaires.
Les courants conservateurs ont le vent en poupe en attisant les souffrances des peuples. Dans la région latino-américaine, la polarisation est forte après un scrutin déjà tendu l’an dernier au Brésil entre Lula et Bolsonaro. Ce sous-continent est fracturé entre deux camps presque antagonistes. Espérons que les forces de progrès et de raison trouvent les voies du succès. Le peuple argentin sera quant à lui sous notre vigilance car les mois prochains vont être rudes.