Le cycle néolibéral, enclenché dans les années 1980, a mis au cœur du jeu une concurrence féroce entre travailleurs et travailleuses et une casse des solidarités, engendrant des dégâts sociaux et écologiques considérables. Dans une société d’insécurité sociale, du chacun-pour-soi et du repli, tout ce qui fait du commun a été atomisé.
Le mouvement progressiste dans son ensemble a été confronté dans sa longue histoire à la montée des idées d’extrême-droite. Des ligues fascistes au lepénisme en passant par le boulangisme, l’OAS et autres groupuscules ultraviolents, la question a toujours été posée de comment la combattre politiquement et la faire refluer. Dans les années 1980, de puissants mouvements associatifs, de la Marche pour l’Egalité au MRAP à SOS Racisme structuraient une partie de la jeunesse. Mais aujourd’hui, force est de constater que ce n’est plus le cas.
Plus de vingt ans après les manifestations monstres qui réunissaient des millions de personnes contre la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle, l’extrême droite pourrait l’emporter dans les urnes, sans heurts ni indignation d’une majorité de la population.
Une stratégie bien rodée de dédiabolisation, puis de banalisation et enfin de normalisation fait qu’aujourd’hui le FN, devenu RN, peut conquérir le pouvoir.
La reprise de thématiques de l’extrême droite par des gouvernements dirigées par des forces dites républicaines, comme la création d’un ministère de l’Identité nationale, la déchéance de nationalité ou encore la récente loi immigration introduisant la préférence nationale, ont légitimé dans le débat public un projet réactionnaire et fascisant. Les principes de haine, la hiérarchie entre humains ont été rendus acceptables. L’étranger souvent pointé du doigt est devenu responsable de tous les maux de la société et, pire, un ennemi potentiel de la République.
La moitié des gouvernements européens sont dirigés par des coalitions comprenant l’extrême-droite. On ne peut et on ne doit rester ni insensibles ni spectateurs.
L’opération de normalisation de l’extrême droite dit beaucoup d’un débat public qui a érigé la polémique permanente et les idées de haine en spectacle. Ce ne sont pas seulement les plateaux télé qui leur sont ouverts, ce sont les réseaux dans les territoires, dans le mouvement associatif et même syndical.
L’extrême-droite est une galaxie, un réseau de courants complémentaires dans leurs approches, leurs manières de faire de la politique. Des groupuscules identitaires, des revues et ouvrages abondamment relayés par des soutiens médiatiques et de l’édition : la multiplicité des interventions élargit l’audience des idées réactionnaires.
Rappelons une évidence : le fonds idéologique n’a pas changé. L’extrême droite reste sur ses fondamentaux.
Elle honnit le progrès social, n’en a cure de l’écologie quand la solidarité est perçue comme une entrave à la libre entreprise.
Elle honnit les Lumières et la modernité. L’égalité, notamment entre les femmes et les hommes, est abhorrée, comme le sont les principes de liberté et de droits de manifester, de s’organiser.
Elle se prétend porte-parole d’un peuple dont elle n’a que faire, le considérant comme une masse à soumettre aux ordres.
Elle manipule l’histoire pour la réécrire et la détourner alors qu’elle a toujours été antirépublicaine et contre la laïcité.
La montée résistible de l’extrême-droite prend également corps dans une sympathie du capital qu’on ne peut réduire aux complaisances médiatiques de certaines chaînes. L’autoritarisme néolibéral et fascisant devient une option crédible pour le capital, si celui-ci lui assure une rentabilité contraire aux besoins humains et à l’environnement.
L’histoire n’est pas écrite et il appartient à celles et ceux qui veulent d’une autre société de s’organiser, de s’unir pour faire reculer ce qui alimente la bête immonde. Avec ce numéro spécial, nous tentons de décrypter cette extrême droite aux multiples visages et de donner des clefs pour tracer ensemble un chemin pour la combattre efficacement. Il ne s’agit pas de lutter seulement contre, mais de forger ensemble un nouveau projet porteur de partage, de solidarité et d’égalité, ouvrant une perspective crédible, enviable de changement radical de la société. L’Humanité y prendra toute sa part, avec vous.