Alors que le congrès des Maires vient de s’achever, une nouvelle fois c’est l’inquiétude et la colère qui ont dominé les échanges et les rencontres.
Les difficultés des collectivités territoriales sont connues et existantes depuis des années. Les différents gouvernements, sous Hollande mais aussi sous Macron ont peu à peu amputé les collectivités de leurs leviers d’action pour collecter l’impôt (taxe professionnelle devenue CVAE, puis taxe d’habitation), puis ensuite organiser budget après budget, la non-compensation progressive, amputant de fait, les capacités des collectivités territoriales pour agir.
Pourtant, le gouvernement Barnier a décidé de les asphyxier encore un peu plus, en leur imposant 5 milliards d’euros d’économies, via le projet de loi de finances 2025.
La réalité est même sans doute pire puisque des associations d’élus ont évalué à 11 milliards d’euros le montant réel de ces restrictions budgétaires (baisse du fonds de compensation de la TVA, baisse du fonds vert, désengagements divers, baisse en volume de la Dotation globale de fonctionnement ou encore non prise en compte de l’inflation). Depuis 2010, les différents gouvernements ont prélevé sur la DGF du bloc communal, 71 milliards d’euros.
Contrairement à ce que pense le chef de l’Etat, les collectivités ne sont pas responsables du soi-disant dérapage des dépenses publiques.
Au contraire, il est démontré que les collectivités ont une bonne gestion de leurs finances publiques puisque le niveau de leur dette a diminué, et ce, malgré les baisses des dotations. Alors qu’elles ont montré leur capacité à résister aux différentes crises (sanitaire, énergétique, révoltes urbaines etc), c’est un nouveau coup de massue qui s’abat sur les élus locaux.
Les petits Mozart de la finance, qui nous ont conduit dans le mur veulent maintenant faire rembourser leur déficit …sur le dos des collectivités. C’est inadmissible.
Et contrairement à l’Etat, il est utile de rappeler que les collectivités territoriales ne peuvent pas présenter un budget en déséquilibre.
Pour protester, les maires et les élus ont organisé des opérations ‘’mairies fermées’’, ont troqué leurs écharpes tricolores contre des écharpes noires.
Déjà plus de 1100 maires ont démissionné entre avril 2023 et octobre 2024. Ce chiffre s’élève à 2400 depuis les dernières municipales et 57 000 sièges de conseillers municipaux sont vacants. Cela montre l’ampleur de la crise et du mal-être chez les édiles. Les prochaines municipales de 2026 risquent de se confronter à un manque de candidats, car chaque jour, ils doivent pallier les défaillances de l’Etat et des services publics de proximité, avec leurs propres services…mais avec trois bouts de ficelle.
Les élus sont épuisés, désespérés, et souffrent du manque de reconnaissance de la part de l’Etat, face à des problématiques de plus en plus complexes à gérer.
11 milliards d’euros de restriction, c’est devoir faire face à des choix cornéliens, des équations intenables. Faut-il supprimer tel service ou telle action au profit de la petite enfance ou au profit des ainés ? Doit-on renoncer à un projet sportif ou à un projet culturel ? Pour les départements, comment assurer le financement du RSA alors que la précarité explose ?
Il s’agit d’une attaque en règle contre les services publics et les associations locales. Un pan entier de notre cohésion sociale, de la vie dans les quartiers et nos communes est remis en cause.
Des projets d’investissements essentiels vont peut-être ne pas voir le jour ou être reportés, alors qu’ils sont essentiels et attendus depuis des années pour améliorer le cadre de vie.
D’autres collectivités vont faire le choix, si elles le peuvent, de s’endetter.
Mais le pire, c’est que ce choix frappe indistinctement l’ensemble des communes, même si elles n’ont pas les mêmes répercussions.
Pour notre département, la Seine-Saint-Denis, c’est 20 millions d’euros en moins pour 2025 ! Une catastrophe annoncée, quand on sait qu’une partie de la population a besoin d’être plus protégée qu’ailleurs.
Non seulement, l’Etat n’assure pas ses missions régaliennes dans le département comme l’a très bien montré le rapport (novembre 2023) de mon collègue Stéphane Peu, mais en plus, il enfonce un peu plus la tête sous l’eau des collectivités..
Alors que notre département souffre déjà de profondes inégalités dans tous les domaines, ces restrictions risquent d’aggraver la situation.
Enlever la même somme à une collectivité (de taille comparable) comme Neuilly-sur-Seine dans les Hauts de Seine ou à Sevran en Seine-Saint-Denis, n’a pas les mêmes répercussions pour les populations qui n’ont pas les mêmes profils.
En réalité, c’est la triple peine, car dans de nombreuses villes dirigées par des communistes et des élus de gauche, des politiques ambitieuses sont menées en termes de culture, de santé, de petite enfance, d’écologie, de sport…qui dépassent largement le cadre strict de leurs « prérogatives régaliennes ».
Cette situation pose donc une question. L’Etat veut-il remettre en cause la clause de compétence générale ? En tout cas, en asséchant le budget des collectivités, il contraint chaque collectivité à se recentrer sur les missions d’état civil, des routes et des écoles et ne plus développer des politiques ambitieuses pour l’émancipation humaine. Avec le risque que chaque maire devienne des « gestionnaires »…et donc des simples agents fonctionnaires de l’Etat.
Défendre la clause de compétence générale, c’est donc défendre le budget des collectivités en permettant à chaque citoyen, de se déterminer sur un projet politique fondamentalement différent entre la droite et la gauche.
Le débat sur le projet de loi de finances qui a débuté lundi au Sénat, chambre des collectivités, constitue un bras de fer avec le gouvernement pour le faire renoncer à son opération anti-collectivités.