Dans moins de trois semaines, le monde se tiendra en haleine. Les premières tendances des résultats de l’élection présidentielle étatsunienne seront proclamées le mercredi 6 novembre.
Tout peut arriver et il est certain que cette élection fera date. Que ce soit une victoire de la vice-présidente sortante démocrate Kamala Harris ou celle du retour au pouvoir de Donald Trump, la violence politique aura franchi un cap.
Le pays, première puissance mondiale, est gangréné par la violence des armes à feu (40 tueries de masse en 2023 avec des millions d’armes en circulation), des gangs, des inégalités. Il est traversé par un choc existentiel qui révèle aussi sa position sur la scène internationale. Les Etats-Unis ne sont en effet plus la puissance mondiale hégémonique même s’ils restent dominants.
En interne, une victoire de Kamala Harris serait immédiatement contestée par les partisans de Donald Trump qui proclament déjà le risque d’une élection volée en agitant partout le spectre d’une fraude massive.
Surfant sur la mobilisation des groupes d’extrême droite qui ont pris d’assaut le Capitole en janvier 2021 pour refuser le résultat des urnes, les troupes du candidat républicain sont convaincues de porter une mission existentielle pour sauver leur pays face à une menace mortifère.
Le retour au pouvoir du milliardaire libérerait une violence encore plus grande. Accompagné de groupes revanchards, de fondamentalistes religieux, Donald Trump appliquerait un programme de purge de l’Etat, d’inspiration libertarienne et réactionnaire inspiré du « Project 2025 ». Libertarien par le découpage de tout ce qui représentait une institution publique considérée comme une entrave au libre marché. Réactionnaire par des politiques répressives d’ampleur contre ses propres concitoyens, avec des méthodes d’un Etat policier, une militarisation de la frontière avec le Mexique, la restriction voire l’interdiction du droit à l’avortement. Ce sera un gouvernement d’extrême droite liberticide et brutal pour les classes populaires, les femmes, les Noirs, les latinos, soit la grande masse de la société étatsunienne. Le milliardaire new-yorkais verrouillera d’autant plus les institutions qu’il souhaite se protéger de toute poursuite après avoir subi une première condamnation en mai dernier pour « falsification de documents comptables » et en attente d’autres procès, notamment autour de son rôle dans la tentative d’insurrection du 6 janvier 2021.
Le trumpisme, qui mélange tout ce qui ressasse de complotisme, de haine, est surtout une politique de classe la plus violente qu’il soit. Ce mouvement survivra à son porte-parole actuel car il prospère sur des réseaux puissants qui alimentent les idées de division et de haine. Le poids des évangéliques, de courants qui considèrent la supériorité de la race blanche est ancré dans les lieux de pouvoir. Il l’est beaucoup moins dans la société mais le pouvoir est extrêmement concentré et donne un poids démesuré aux forces de l’argent et de l’obscurantisme. Que l’on songe que dans une campagne électorale sans plafond financier, chaque élection présidentielle bat des records de dépenses. Les onze milliards de dollars de l’élection de 2020 seront dépassés pour cette campagne 2024 qui exclut de fait un courant populaire de pouvoir concourir à armes égales.
Depuis 2000, les Républicains ont gagné une fois le suffrage populaire, c’est-à-dire la majorité des voix exprimées.
Sans dire que les Démocrates incarnent ce que nous qualifierions ici de progressiste, il existe des millions de citoyens étatsuniens qui sont favorables à une taxation progressive des plus riches, à des services publics, à une forme de sécurité sociale et même à un meilleur contrôle des armes. Même le droit à l’avortement, remis en cause par la Cour suprême aux mains des conservateurs, reste approuvé par la majorité de la population. Il faut ajouter à cela le mode de scrutin par grands électeurs qui favorise les systèmes de cooptation, les positions plus conservatrices dans chaque collège électoral et avec un système différent par Etat. Les systèmes électoraux, dépendant des lois des Etats fédérés, excluent de larges de pans de la populations de leurs droits civiques (en premier lieu les Noirs et plus généralement les classes populaires) et déploie une vision conservatrice de la société. La Cour suprême, plus haute instance judiciaire du pays et censée s’occuper du contrôle constitutionnel, valide tout ce qui permet de verrouiller le pays aux mains des conservateurs.
Les Démocrates n’ont pas forcément mené la bataille contre cette contre-révolution et ont souvent déçu les attentes populaires, à l’instar du tandem sortant Joe Biden-Kamal Harris.
Ce dernier a certes un bilan bien meilleur économiquement que ce qui apparaît aux yeux du public, notamment en termes d’emplois, mais qui est pénalisé par l’inflation. La Présidence sortante s’est toujours refusée à instaurer des politiques réellement progressistes au niveau social ou environnemental, décevant les franges les plus jeunes et les populations des grands centres urbains. Le niveau de luttes sociales dans le pays démontre pourtant qu’une grande majorité est disposée à soutenir des mesures de progrès social comme le salaire minimum. Au niveau de la politique internationale, d’habitude si consensuelle dans l’establishment, la jeunesse bouscule le Parti démocrate et dénonce le soutien inconditionnel aux opérations militaires meurtrières d’Israël.
Le capital est donc prêt à tenter de nouveau le pari Donald Trump qui, contrairement aux affirmations médiatiques paresseuses, n’a jamais gagné par le soutien des classes populaires.
Il progresse certes dans les milieux populaires, notamment parmi l’électorat noir et latino masculin, mais il a surtout l’appui d’un capital agressif qui, face aux taxations des plus fortunés, aux réglementations contre les GAFAM ou encore à la perte d’influence de Washington au niveau international, considère que seul un pouvoir autoritaire sera la solution.
Le pays est fracturé entre des soutiens républicains qui veulent l’ordre brutal et fantasment la grandeur d’une Amérique retrouvée et des soutiens démocrates favorables à plus de justice sociale. Celui qui mobilisera au mieux sa base l’emportera. L’ordre du monde, lui aussi fracturé, en subira aussi les conséquences.