GAZA : la punition collective n’est pas la solution

20 Oct 2023

Ce que nous redoutions est arrivé : les images terribles de l’hôpital Al Ahli démontrent l’ampleur des dégâts que commence à provoquer l’affrontement militaire entre les factions armées terroristes de Gaza et Israël. Lieu symbolique de prise en charge des victimes et des plus fragiles, censé être sanctuarisé même en cas de conflit. Jihad islamique-Hamas et armée israélienne se renvoient pour l’instant la responsabilité de cet acte immonde. Mais le désastre est bien là et cela ne fait que confirmer que les « frappes chirurgicales » n’existent pas. Il est surtout dommage qu’à de rares exceptions, la version de l’armée israélienne soit devenue la version officielle de nombreux médias et d’experts français.

Après l’effroyable opération terroriste du 7 octobre commise par le Hamas contre des civils palestiniens, la sidération et l’émotion nous ont envahies. C’est le plus grand massacre contre des populations juives depuis 1948. Cela rappelle de douloureux souvenirs aux citoyens israéliens et au-delà parmi les Juifs du monde entier. Nos compatriotes juifs, qui peuvent parfois détenir un passeport israélien, connaissent des victimes parmi les 1400 morts et sont ainsi attristés. Nous partageons leur douleur de ces 24 Français assassinés au sud d’Israël et leur angoisse autour du sort des 7 otages détenus à Gaza. Les actes antisémites, que des semeurs de haine attisent pour vomir leur haine des Juifs, doivent être sanctionnés avec la plus grande fermeté.

Cette douleur ne peut néanmoins être instrumentalisée pour accentuer l’engrenage de la violence. La furie médiatique pour légitimer, au nom de l’antiterrorisme, les bombardements de l’enclave de Gaza sont proprement indécents.

On sera accusés de minorer l’attaque du Hamas ou encore de ne pas se soucier du sort des otages. C’est au contraire parce que nous sommes attachés à résoudre les problèmes sur le fond que nous sommes déterminés à rejeter la riposte militaire aveugle ou ce que certains appellent une légitime défense. Il est par ailleurs impossible, n’en déplaise aux soutiens inconditionnels de la politique coloniale israélienne, de faire l’impasse sur la situation dans les Territoires palestiniens. Car oui, il y a un peuple palestinien, séparé sur plusieurs territoires mais qui veulent vivre dans un Etat palestinien libre et souverain. Il serait bon de rappeler à nombre de commentateurs que ces humains existent et qu’ils ne peuvent être réduits à la direction du Hamas. Leurs vies comptent également.

Les médias parlent d’une armée israélienne en attente mais la catastrophe a déjà lieu. L’opération terrestre n’a certes pas commencé mais les bombardements et les destructions si. Les ONG humanitaires, les secours civils palestiniens sont déjà débordés et sont déjà en incapacité de répondre aux besoins. Le sous-secrétaire aux Affaires humanitaires de l’ONU parle même d’un « spectre de la mort » face aux entraves dans l’accès à l’eau, à l’électricité et aux soins. Le droit à la vengeance n’est pas un droit mais un crime de guerre qui s’ajoute au blocus existant depuis 2007.

Parmi les près de 3500 morts côté palestinien, 16 personnels humanitaires sont décédés quand plus de 720 enfants ont perdu la vie. Le bombardement de l’hôpital vient ajouter à l’effroi avec 471 victimes recensées.

Il est par ailleurs demandé à un million de personnes de l’enclave de fuir vers le Sud. Mais pour aller où ? A cette population dont près d’un quart descend d’une famille de réfugiés de 1948, il est demandé à nouveau de fuir. Certains commentateurs vont jusqu’à reprocher à l’Egypte de ne pas ouvrir son poste-frontière de Rafah. Ce même poste frontière bombardé par…Israël, ce qui entrave toute fuite ou tout acheminement de l’aide humanitaire. Les pays européens ont bon dos de réclamer un accueil des réfugiés quand eux-mêmes ferment et militarisent leurs frontières à celles et ceux qui fuient la guerre et la misère.

Cette indécence est d’autant plus cynique que les Palestiniens ne veulent pas d’une nouvelle Nakba, une catastrophe d’un exil qui les verrait s’éloigner encore plus d’un avenir sur leur terre. En réalité, l’intervention militaire constituera un crime de guerre d’une ampleur inédite par l’usage intensifs de bombes chimiques, de destructions massives et d’un nettoyage ethnique sans précédent.

L’opération de punition collective ne peut trouver ni justification ni être proportionnée. La visite du président des Etats-Unis d’Amérique ce mercredi semble sonner comme un blanc-seing sous conditions du « respect du droit humanitaire »…tout en fournissant toutes les armes nécessaires à Tel-Aviv. La Présidente de la Commission européenne a quant elle légitimé toutes les actions militaires israéliennes au nom du droit à l’autodéfense. Dans les deux cas, le soutien occidental à la punition collective contre Gaza est absolument intolérable. Il contribue à accentuer la fracture entre ces puissances, souvent ex-colonisatrices, et le Sud global où le deux poids, deux mesures est dénoncé comme règle sur la scène internationale. Le cri de rage exprimé par les peuples aux quatre coins du globe révèle cette asymétrie. La Palestine incarne cet ordre mondial injuste où la violence prime sur le droit dans une région reconfigurée par les desseins du Moyen-Orient, jeu morbide des affrontements des puissances et des fondamentalismes religieux. Les résolutions de l’ONU sur la proposition d’un cessez-le-feu, proposée par la Russie (qui n’est pas évidemment pas exempte d’arrière-pensées politiques cyniques alors que Moscou mène elle aussi sa guerre meurtrière en Ukraine) puis le Brésil (qui condamne les attentats du Hamas) révèlent cette fracture entre l’Occident et le reste du monde.

L’attentat du Hamas a des origines et constitue le symptôme d’une impasse politique entretenue par le sabordage du processus de paix, d’abord et avant tout du fait des pouvoirs successifs israéliens qui ont poursuivi la colonisation et contribué à déstructurer le mouvement national palestinien, en affaiblissant l’Autorité palestinienne, incapable d’agir, noyée dans la corruption, tout en favorisant le projet rétrograde et rétrograde du Hamas. Cela a donc contribué à déplacer le curseur d’une lutte pour l’indépendance et contre la colonisation, avec la volonté de transformer une lutte politique en une lutte religieuse entre juifs et musulmans, nourrissant par ricochet la théorie du choc des civilisations.

Les amalgames ignobles des conservateurs, partisans du choc des civilisations, entre le Hamas et les attentats qui frappent l’Europe tout récemment sont une chape de plomb insupportable. On ne peut porter atteinte au droit de manifester sa solidarité avec le peuple palestinien et surtout pour la paix. On doit pouvoir compatir des souffrances des deux peuples, israélien et palestinien, et exiger une solution pacifique et politique, juste et durable.

La primauté des armes, de la violence contribuera à n’en pas douter à renforcer les camps des extrêmes de part et d’autre, avec son lot de victimes et de destructions. Le Gaza d’avant le 7 octobre était déjà dans une situation horrible : 70% de chômage chez les jeunes, un tiers de la population atteinte de troubles psycho-sociaux et un blocus empêchant tout développement économique et social. Il est de notoriété publique qu’Israël contrôlait depuis le début du blocus en 2007 l’acheminement humanitaire dans la bande de Gaza en rationnant au niveau alimentaire la quantité minimale au-dessus du seuil de sous-nutrition.

La responsabilité première de la puissance occupante est à souligner, elle qui a favorisé le Hamas au détriment des forces nationalistes palestiniennes. Il ne s’agit pas de déresponsabiliser les Palestiniens, et singulièrement le Hamas qui, usant de méthodes terroristes, a délaissé le combat pour la liberté de son peuple au nom de son idéologie religieuse rétrograde.

Le suprémacisme juif porté par M. Netanyahou et ses compagnons de route de l’extrême droite raciste a accéléré ce pourrissement surtout par les violences quotidiennes et systémiques, particulièrement à Jérusalem-Est : les agressions quotidiennes par les milices de colons, la poursuite de la colonisation, les exécutions extra-judiciaires sans compter les prisonniers politiques dont un cinquième est enfermé sans motif ni jugement au nom de la détention administrative dans un système d’apartheid qui se renforce chaque jour.

Ce sont ces mêmes racistes qui portent un coup brutal à la démocratie israélienne avec la fin de l’indépendance de la Cour suprême israélienne pour donner la primauté à la colonisation quand dans le même temps les accointances ou le laissez-faire avec des pétromonarchies qui ont financé le Hamas n’était pas un problème. Les fondamentalismes se rejoignent au fond pour se détester et alimenter la violence.

Les crimes de guerre à venir de l’armée israélienne ne feront qu’amplifier le désastre et seront un terreau pour une organisation encore plus mortifère que celle portée par le Hamas. La recherche d’une solution politique reste la seule voie efficace et raisonnable.

Le cessez-le-feu doit être la priorité pour faire libérer les otages et stopper les bombardements. Les prisonniers politiques palestiniens dont Marwan Barghouti doivent aussi retrouver la liberté. Rappelons que ces prisonniers sont au nombre de 5 000 dont 1200 sous le régime de la détention administrative, sans preuves ni procès.

Un processus de paix nouveau doit voir le jour. Il ne peut être possible qu’en application des résolutions internationales et par le soutien aux forces démocratiques en Israël et en Palestine. La France doit être motrice dans cette voie, portée par les peuples du monde qui doivent se mobiliser pour ce conflit et d’autres car la paix est une nécessité pour répondre aux défis sociaux qui nous attendent en ce siècle.

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