Interdiction de l’IVG : une cristallisation des dominations

28 Juin 2022

Au Texas, depuis le 24 juin 2022, il vaut mieux être condamné comme violeur que comme femme qui aurait eu une IVG ou comme médecin qui aurait pratiqué un avortement — jusqu’à la perpétuité pour ce dernier —, même en cas de viol ou d’inceste.

Le 24 juin dernier, en effet, la Cour suprême des Etats-Unis, en majorité conservatrice, a décidé de revenir sur l’arrêt Roe vs Wade, jurisprudence qui garantissait la liberté d’avortement, laissant donc de fait la possibilité aux Etats de rendre l’avortement illégal. Et les plus conservateurs, dont le Texas, se sont rués sur l’occasion. Ils étaient d’ailleurs prêts, puisque certains d’entre eux avaient déjà élevé de nombreux obstacles à l’IVG (pénalisation des téléconsultations et de l’envoi de pilules abortives, demande de permission au géniteur…), ou prévu des « trigger laws », des lois de déclenchement pour rendre l’avortement illégal dès que l’arrêt Roe vs Wade tomberait. C’est chose faite, et c’est une véritable catastrophe.

D’autant qu’il est probable que les « conservateurs », en réalité l’extrême droite, ne s’arrêtent pas là ; certains juges de la Cour suprême ont déjà émis l’opinion qu’il faudrait revenir également sur le mariage entre personnes du même sexe, et certains Etats pourraient aller jusqu’à interdire la contraception (dont le prix des pilules a déjà augmenté, loi du marché oblige…).

Heureusement, d’autres Etats, au contraire, s’organisent pour accueillir les femmes qui voudront venir avorter ; mais les infrastructures ne sont pas suffisantes, et les batailles juridiques entre Etats s’annoncent acharnées — et les divisions et les fractures sociales profondes et inévitables.

Cette décision doit être soigneusement examinée, car sous des dehors « pro-life », pro-vie, elle masque en réalité un recul majeur des droits et un retour en force des dominations, à plusieurs niveaux. En effet, les enquêtes montrent que seuls 20% environ de la population étatsunienne seraient pour interdire l’avortement ; comment expliquer, alors, ce choix de la Cour suprême et des Etats qui procèdent à une interdiction ?

D’abord, les mêmes qui prétendent protéger la vie s’opposent systématiquement à un système de santé public et renforcé ; ils votent des lois en faveur des armes, autorisant leur port dans la rue, favorisant par là-même la montée des violences… et les fusillades dans les établissements scolaires. Se soucient-ils, alors, de la vie, des bébés, des enfants ? Pas le moins du monde.

C’est donc qu’il y a autre chose. En premier lieu, cette décision des juges constitue une atteinte majeure aux droits des femmes, et au droit de chacun·e à disposer de son corps. C’est une affaire de domination des femmes — on pourrait aller jusqu’à parler d’asservissement. C’est donc une victoire pour le patriarcat.

Mais cette décision a des ramifications nombreuses. Elle masque également une domination de classe et une domination économique — les deux vont de pair.

Car ce sont bien les femmes les plus précaires qui seront les plus touchées par les interdictions d’IVG.

Celles qui ont les moyens, sans minimiser aucunement les difficultés, auront davantage de chance de pouvoir se déplacer pour le faire ailleurs, discrètement. Or, selon l’institut Guttmacher, aux Etats-Unis, environ la moitié des femmes souhaitant un avortement vivent sous le seuil de pauvreté. Et outre les frais d’avortement et de déplacement, il faut encore pouvoir partir, se libérer, disposer de congés etc. Celles qui n’ont pas les moyens se verront renforcées dans une dépendance éventuelle à leur conjoint, renonceront peut-être à des études, un travail mieux payé, une promotion, etc. Elles tomberont peut-être plus jeune et plus souvent enceinte, devront nourrir leur famille. En somme, elles resteront à la place qu’une société capitaliste, inégalitaire, patriarcale leur a assignée : celle d’une classe dominée économiquement et socialement.

Ce sont en réalité des lobbies puissants, ultraconservateurs, c’est-à-dire une minorité aisée qui a œuvré à cette catastrophe. Cette partie de la classe politique, qui est en fait d’extrême droite, et qui a tiré profit d’un Donald Trump au pouvoir et du renouvellement d’une partie des juges, nommés à vie.

Cette bataille ne se joue donc pas pour des questions de soi-disant protection de la vie. Elle se joue dans la volonté de maintenir un tissu de dominations en place et de le renforcer ; elle se joue dans le maintien des inégalités. Et comme souvent, les femmes subissent une double peine, une double domination. C’est une bataille qui vient de loin, menée depuis plusieurs décennies par les conservateurs et en premier lieu les milieux évangélistes qui ont martelé ce message dans plusieurs campagnes électorales, dans leurs réseaux militants et leurs médias. N’oublions pas qu’un ancien président républicain George W. Bush en avait fait une promesse phare dès le début des années 2000 et promouvait une conception tradionnaliste de la famille.

Ce à quoi nous assistons là a beau se jouer de l’autre côté de l’Atlantique, personne n’en est à l’abri ; les forces de la réaction et de l’extrême droite montent en puissance partout en Europe. D’ailleurs, la Pologne, avant cette décision des USA, a déjà interdit l’avortement en 2020, et il est toujours interdit à Malte. Et ce serait une erreur de penser que la France est à l’abri, alors que le RN à fait 42% au second tour des présidentielles et que 90 députés du RN font leur entrée à l’Assemblée nationale, aidés par le jeu du camp présidentiel qui les renvoie au même niveau que la gauche rassemblée.

Il y a plusieurs manières de procéder. Ainsi, certaines collectivités territoriales dirigées par la droite ont baissé leurs subventions aux associations telles que le planning familial, moyen discret de miner et minorer la pratique de l’IVG et l’accompagnement, mais également la prévention. Par ailleurs, en raison de l’austérité budgétaire, notamment dans l’hôpital public, plus de 130 établissements ou services pratiquant l’IVG ont fermé ces vingt dernières années dans le pays, réduisant l’offre faite aux patientes avec des inégalités d’accès selon le territoire ou la classe.

Certes, l’IVG est autorisée depuis la loi de 1975 en France. Toutefois, ce qu’une loi fait, une autre loi suffit à le défaire. Modifier la Constitution, en revanche, est plus complexe, puisqu’un vote dans les mêmes termes entre les deux chambres, Assemblée nationale et Sénat, est nécessaire, ou un vote aux trois cinquièmes du Parlement réuni en Congrès, ou un référendum.

C’est pour cela que la proposition d’inscrire le droit à l’avortement dans la Constitution, émise dès 2017 par le groupe Communiste Républicain Citoyen et Ecologiste au Sénat, proposition portée aujourd’hui à l’Assemblée nationale par la NUPES, a tout son sens et permettrait de préserver un droit qui doit être fondamental des menaces réactionnaires.

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