Quelques jours après la célébration de la journée internationale des droits des travailleurs migrants, le 18 décembre dernier, il est important de rappeler la dimension humaine de ce phénomène.
A l’heure où les migrations ne sont présentées que par un prisme sécuritaire et identitaire, où des gouvernements dits démocratiques sont prêts à sacrifier le respect des droits fondamentaux contre cette catégorie de la population. Le 20 janvier prochain, date d’intronisation de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis d’Amérique, un décret pourrait être édité permettant l’expulsion d’au moins un million de migrants, avec le concours des forces de police et de milices. Des gouvernements conservateurs et d’extrême droite en Europe tentent, quant à eux, depuis des années de créer des bases extra territoriales pour y placer des demandeurs d’asiles ou des migrants jugés indésirables. Soit ni plus ni moins que des camps.
La migration est d’abord au fondement de notre humanité. Elle a toujours existé pour des raisons diverses et contribue aux échanges humains, commerciaux, culturels.
A notre époque, ce sont les éléments les plus anxiogènes qui sont présentés dans la sphère publique à travers la situation des réfugiés. Mais si les raisons des migrations sont souvent motivées par fuir la guerre, la misère ou la persécution (politique, religieuse, philosophique, liée à l’orientation sexuelle ) et donc au la recherche d’une vie meilleure, on ne peut résumer ces parcours de vie à ces situations. La migration est un processus. Les populations s’installent et contribuent au développement des sociétés qui les accueillent.
Il faut pour cela une politique d’accueil digne de ce nom. Ce qui est loin d’être le cas puisque les Etats, notamment des pays les plus riches, se déploient dans une logique paranoïaque. Ce sont les murs, les barbelés qui font office de politique, criminalisant et enfermant celles et ceux qui sont contraints de prendre des chemins de plus en plus difficiles. Des camps de réfugiés aux hot spots, les migrants sont marginalisés, persécutés, victimes de polices d’Etat de plus en plus violentes, de milices ou encore de réseaux de passeurs. Les routes des migrations sont de plus en plus dangereuses et chaque passage maritime devient un cimetière. La France peut en témoigner, les rives qui la jouxtent sont devenues des routes de la mort : 53 victimes identifiées dans la traversée de la Manche en 2024, plus de 1400 en Méditerranée et environ un millier dans l’Océan indien (à destination de Mayotte).
Pourtant, il serait réducteur de voir les populations migrantes uniquement à travers le prisme de l’asile et de ces routes dangereuses. La grande majorité arrive par voie légale, certes par des procédures de plus en plus difficiles et onéreuses mais dans un cadre relativement…normal.
Ces immigrés deviennent très souvent, a fortiori dans un pays comme la France où le droit du sol et la régularisation par le travail sont les critères les plus importants, des citoyens comme les autres. Ces femmes et ces hommes immigrés représentent 7.3 millions de personnes (dont 5,6 millions sont de nationalité étrangère). La majorité est composée de femmes (52%), un tiers vient d’Europe, loin des fantasmes de grand remplacement.
Surtout, parmi les millions de travailleurs essentiels, des travailleurs migrants sont indispensables dans des secteurs comme le médico-social, le bâtiment, la restauration, la petite enfance voire certaines filières de la récolte agricole. Des métiers jugés en tension par manque de main d’œuvre et qui sont souvent déconsidérés, avec des emplois peu qualifiés. Il y a aussi une autre réalité : les étudiants étrangers sont ainsi nombreux à se positionner dans les filières d’écoles de commerce ou d’ingénieur, à haut niveau de qualification et dans des secteurs à forte valeur ajoutée. Ils sont ainsi proportionnellement plus qualifiés que la moyenne de la population française et sont largement sollicités à la fin de leur cursus tout comme les médecins étrangers, sous statut de praticiens diplômés hors Union européenne (PADHUE). Le nombre de médecins étrangers a bondi de 101,7% entre 2010 et 2024, soit 13,7% des effectifs totaux, y compris dans les déserts médicaux.
Malgré cela, il ne faut pas négliger le sort fait aux travailleurs sans-papiers, utilisés dans les secteurs les plus précarisés. De nombreux secteurs économiques profitent de leur vulnérabilité pour les exploiter toujours plus et les sous-payer, au détriment de leur sécurité. Les nombreuses situations d’esclavage moderne dans des chantiers ou des champs démontrent l’ampleur des violences qu’ils subissent. Suspendus à la volonté d’un ministre de l’intérieur qui veut mettre à mal la circulaire Valls (régularisant toute personne sans-papiers prouvant deux ans d’activité pleine), ces femmes et ces hommes sont menacés dans leur intégrité.
Mobilisés dans de nombreuses luttes sociales, ils se retrouvent souvent face à un arbitraire préfectoral insupportable. Ils sont bien souvent sans titre de séjour en raison de procédures numérisées qui excluent de fait la majorité des demandeurs et alimentent un business des rendez-vous. Il faut en finir avec un Etat qui laisse pourrir la situation et refuse de jouer son rôle de régulation et d’application de la loi.
Les récentes déclarations du gouvernement sur la situation à Mayotte nous font craindre le pire. Alors que la situation impose un plan d’ampleur pour en venir aux aides aux populations locales, la différenciation faite par l’Etat selon le statut administratif révèle le caractère antirépublicain de certaines propositions comme la remise en cause du droit du sol. C’est pourtant un ouragan qui a détruit l’île, pas la présence de milliers de personne sans papiers !
La volonté de plus en plus affirmée d’épouser les thèses du Rassemblement national notamment par une énième loi immigration, voire un référendum, comme l’a évoqué le président de la République est absolument intolérable.
Le caractère systémique des entraves aux populations immigrées démontre qu’il est de notre intérêt commun d’en finir avec ces discriminations. Les droits en moins pour ces populations se font aussi contre nous toutes et tous. La perspective d’un clivage selon l’origine, la nationalité constitue autant de barrières pour mettre à mal ce qui attaque nos principes républicains et de justice sociale : le néolibéralisme, l’autoritarisme. Encore une fois, le système s’attaque d’abord aux droits des migrants avant de les généraliser aux autres. L’exemple de l’affaiblissement de l’AME, avec à terme l’objectif de sa suppression, se fait de manière concomitante aux attaques en règle contre la Sécurité sociale, le déremboursement des soins et des médicaments.
Parce que ce sujet est au cœur du débat public avec une extrême droite aux portes du pouvoir, cette discrimination systémique et généralisée doit être combattue. Il faut sortir du cycle de lois contre l’immigration enclenchées par des polémiques pour restreindre les droits des migrants et de leurs descendants. N’en déplaise aux réactionnaires, c’est bien la voie du respect du droit, de l’universalisme qui doit prévaloir. La France s’honorerait de se conformer à ses obligations internationales et notamment à la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille qu’elle n’a pas ratifiée. Elle peut aussi répondre à une vieille exigence du mouvement social, existant déjà dans le secteur des élections professionnelles et étudiantes, à savoir élargir la citoyenneté par le droit et d’éligibilité des résidents extra communautaires aux élections locales. Les idées rances s’affrontent par des mesures de progrès social et démocratique, et non pas en les laissant prospérer dans l’espace public.