Le vent de panique qui soufflait depuis le début du mois de mars sur les marchés financiers et les gouvernements, suite aux faillites de plusieurs banques aux Etats-Unis s’est apaisé, et le spectre d’une nouvelle crise d’ampleur à l’image de celle de 2008 s’éloigne. Pourtant, cet épisode doit nous alerter et être analysé.
Il a commencé avec la faillite de la Silvergate Bank le 8 mars dernier, puis celle de la Silicon Valley Bank (SVB) le lendemain. Quelques jours plus tard, le Crédit Suisse, une des trente plus grosses banques mondiales, faisait état de ses difficultés. Une fois encore, les pouvoirs publics ont volé au secours des banques pour rassurer les investisseurs.
La faillite de la SVB, banque des start-ups et des nouvelles technologies, est certes en partie due à la hausse des taux dans le cadre de la lutte contre l’inflation – ce qui revient à des mesures d’austérité -, mais aussi à des méthodes peu recommandables. En période de hausse de l’inflation, les clients ont souhaité récupérer des capitaux… qui n’étaient pas disponibles puisque placés par la SVB en obligations à long terme. Et 96% des fonds n’étaient pas assurés. Une fois les difficultés de la SVB rendues publiques, ce mouvement de « bank run » s’est accentué. Les vagues provoquées par la faillite de la SVB sur les marchés financiers ont causé à d’autres banques sinon des difficultés, du moins de l’inquiétude.
Aux Etats-Unis, la régulation renforcée suite à la crise de 2008 avait fini par être allégée par l’administration Trump. Ainsi, la surveillance stricte n’intervient plus qu’à partir d’un bilan d’un montant supérieur à 250 milliards de dollars, contre 50 milliards avant 2017. Il n’est pas exclu que la faillite de la SVB – dont le bilan était de 212 milliards de dollars en 2022 – aurait pu être sinon évitée, du moins anticipée si la régulation n’avait pas été assouplie.
Très vite, cependant, la Fed, le Trésor et l’autorité de régulation financière étatsunienne (FDIC) sont intervenus par le biais de prêts aux banques afin de limiter les dégâts, et le Président Biden a assuré que l’Etat garantirait les dépôts – mais que les investisseurs devraient assumer leur prise de risque.
Quant aux banques du continent européen, quelques remous les ont atteints. L’action de Crédit Suisse, en difficulté depuis deux ans déjà, avait perdu 24% à la suite des propos de son principal actionnaire qui refusait de la recapitaliser en cas de problème financiers. La Banque centrale suisse avait annoncé prêter 50 milliards de francs, ce qui n’avait pas suffi à rassurer. Le Crédit Suisse sera finalement racheté par la première banque suisse, UBS, avec une garantie de 9 milliards de l’Etat, et une ligne de crédit de 100 milliards offerte par la Banque centrale suisse. Pendant ce temps, les baisses de valeur des actions s’étaient répandues à plusieurs banques européennes – Deutsche Bank, Société Générale, BNP Paribas…
Mais tout a été fait pour rassurer les marchés financiers et contenir la menace. « Nous ne voyons pas de risque de contagion pour la France » indiquait Bruno Le Maire au sujet de cette crise d’outre-Atlantique menaçant de dégénérer. Aux Etats-Unis comme sur le continent européen, l’engagement des pouvoirs publics a enrayé la panique et la crise semble aujourd’hui évitée.
Le terme de « contagion », est révélateur. Une crise dans un modèle d’économie financiarisée agit bel et bien comme un virus particulièrement virulent et hautement contagieux, qui peut se répandre – aussi rapidement que le Covid-19 dans une soirée clandestine pendant le confinement. Et dans un tel modèle, une crise financière menacerait toute l’économie. Derrière l’inquiétude plane évidemment le souvenir de la crise des subprimes de 2008 et ses conséquences.
Mais cette contagion n’est pas simplement un des risques, ou l’effet d’une gestion discutable cumulée à l’inflation. Ce virus, au fond, c’est le capitalisme. Les crises financières n’en sont que le symptôme, et il est particulièrement dévastateur. Mais quelles que soient les mesures adoptées par les banques centrales et les Etats, la crise sera toujours latente, menaçante, grondante tant que le capitalisme réglera l’économie financiarisée.
Car ce n’est pas tout ; les banques occupent décidément le devant de la scène. Des perquisitions ont eu lieu fin mars dans cinq banques – Société générale, BNP Paribas, Exane, Natixis et HSBC – dans le cadre d’une enquête ouverte en 2021 au Parquet national financier pour soupçon de fraude fiscale aggravée. Le tout, pour un montant supérieur à un milliard d’euros. Ces banques sont soupçonnées de réaliser des opérations complexes sur les marchés financiers pour contourner l’impôt sur les dividendes – par la pratique dite du « CumCum », qui coûterait plus de 100 milliards d’euros aux Etats – pour des clients non-résidents en France détenteurs d’actions dans des entreprises françaises.
Malgré la place considérable qu’elles occupent dans les médias, les banques poursuivent leurs pratiques peu scrupuleuses dans une totale opacité et avec peu de contrôles, au(x) profit(s) de quelques actionnaires fortunés. Les marchés financiers vivent et prospèrent de telles pratiques, bien loin des utopistes de la concurrence qui prônaient le marché comme pacification des relations internationales, vecteur d’innovation et de baisses des coûts pour les populations.
Le Président de la République Emmanuel Macron est le digne serviteur de ces marchés financiers. Son action est cohérente, et tournée de manière plus ou moins visible vers leur satisfaction. Surtout, il méprise le processus démocratique, et réussit l’exploit d’engendrer une crise de régime dans le cadre de cette Vème République pourtant conçue et modifiée pour lui donner une majorité et les moyens de « régner ». Il condamne et attise la rage qui monte contre son projet de réforme des retraites injuste et risque d’enflammer une situation déjà très tendue. Tout cela pour une réforme des retraites dont l’objectif affiché serait de mettre le système à l’équilibre. Qu’est-ce que 13,5 milliards d’euros, le déficit projeté par le gouvernement pour 2030, face à des milliards détournés par des actionnaires, des groupes et des banques que les pouvoirs publics s’empressent de renflouer ou d’aider à coup de « quoi qu’il en coûte » et sans contrepartie ? Ne faudrait-il pas plutôt lutter davantage contre ces fraudes fiscales ?
C’est que, dans le cadre d’un système de retraite par capitalisation, nous vaudrions cher : plus de 300 milliards d’euros qui font saliver les assureurs. Nous qui travaillons, nous produisons les richesses de ce pays, exploitées par quelques-uns. Ils considèrent que nous pourrions leur en offrir davantage encore. A terme, c’est ce trésor-là qui est visé.