Loi de programmation militaire : Plutôt que la guerre, avoir une paix d’avance

16 Juin 2023

La loi de programmation militaire annoncée, votée la semaine dernière, est passée sous les radars mais mérite toute notre attention. Elle a été votée par les forces de droite dans un contexte international très tendu où la guerre en Ukraine mais aussi le développement de théâtres de tensions de par le monde font craindre les risques d’une guerre généralisée.

Plan pluriannuel, ce programme d’investissement militaire va moderniser l’appareil militaire français. La dépense militaire deviendra à terme le premier poste de dépense publique, devant l’Education nationale, avec un montant graduel de 43.9 milliards cette année à 69 milliards en 2030. Avec la livraison d’équipements, notamment de munitions, en Ukraine, il s’agit d’abord de recharger les stocks. Viendront ensuite le renouvellement de la flotte des équipements lourds, notamment du porte-avions et des capacités de dissuasion nucléaire. D’autres champs sont investis et renforcés, à savoir l’espace cyber, le champ spatial et le renseignement dans les batailles informationnelles.

On arguera que le monde se militarise, que les dangers pointent partout. Les menaces stratégiques imposent de se préparer selon le célèbre adage : si tu veux la paix, prépare la guerre. Les aphorismes et discours lénifiants ne doivent pas masquer les menaces réelles et les réponses à apporter. Le président de la République veut ainsi anticiper les menaces de demain pour « avoir une guerre d’avance ». Il faut stopper cela avant tout par des…réponses politiques ! Sans naïveté aucune, disposer d’une armée est nécessaire quand elle défend un territoire et sert l’intérêt général. Il faut par contre sortir de la logique interventionniste et de déploiement éclair. Ce modèle a échoué : les interventions militaires notamment dans la lutte contre le terrorisme n’ont pas éteint les foyers d’instabilité, elles les ont même renforcés. Pourquoi ? Parce que les causes des violences, les problèmes politiques profonds n’ont pas été résolus.

Surtout, de quelle guerre parle-t-on ? Prévenir les menaces de demain et les déstabilisations, c’est agir contre les terreaux qui font prospérer la violence, les déséquilibres dans les sociétés rongées par les inégalités, le dérèglement climatique. En alimentant les nationalismes et le repli sur soi, les dégâts considérables des guerres ouvrent des champs d’affrontement dangereux.

Emmanuel Macron a pourtant réitéré cette impasse à Bratislava lors du sommet Globecs il y a quelques jours. Le ton belliqueux utilisé annonce les futurs affrontements au lieu de jouer l’apaisement. Réécrivant l’histoire de l’Europe, le président de la République a validé le ton va-t-en guerre des pays d’Europe de l’Est, prompts à renforcer le conflit avec la Russie. En clair, l’Occident serait dans son droit d’intervenir face aux menaces stratégiques et face à un « ordre international alternatif » construit par le Sud global. En réalité, cette crainte devient une prophétie autoréalisatrice en agglomérant tous les Etats non occidentaux qui ne suivraient pas l’orientation guidée à Washington et en Europe.

Le renforcement des alliances militaires et de la course aux armements est lancé. De l’OTAN aux autres partenariats, les budgets militaires atteignent plus de 2 240 milliards de dollars en 2022. L’Alliance atlantique somme ses membres de faire passer à 2% minimum ses budgets militaires nationaux. D’autres alliances, poussées par les Etats-Unis en Asie notamment pour contenir la Chine, par la Russie en Asie centrale, ou des exercices militaires conjoints qui se développent avec de nombreux pays des BRICS, simulations de guerres de grandes ampleurs, doivent nous alerter tout comme le réarmement rapide de pays aux Constitutions pacifiques d’après-guerre que sont l’Allemagne et le Japon.

La guerre généralisée est en marche sur fond d’accès aux ressources et de reconfiguration d’empires ou de sphères d’influences. La banalisation de la menace nucléaire est également plus qu’inquiétante alors que les chiffres de l’entretien de l’armement nucléaire sont édifiants : 146 500 euros par minute ! Dans un contexte mondial éruptif, la dissuasion nucléaire devient de plus en plus un mode conventionnel d’intervention. Nous vivons sur un baril de poudre qui pourrait nous faire basculer dans l’hiver nucléaire !

Il faut sortir de l’entêtement général, du déni occidental particulièrement, qui consiste à penser que tout ce qui ne vient pas d’ici ne mérite que le mépris. Il est déplorable que les solutions militaires apparaissent comme prioritaires aux réponses politiques. Depuis près d’un an, plusieurs Etats, à commencer par le Brésil, les Etats ouest-africains notamment de la CEDEAO, l’Indonésie, la Chine travaillent à des offres de médiation et de négociation de paix en Ukraine, avec l’ONU en soutien. Cela ne doit pas minorer la culpabilité russe et l’agression militaire ordonnée par le Kremlin, meurtrière et contraire au droit international. Mais si la grande majorité du monde ne voit pas la guerre comme nous la percevons en Occident, il faut s’interroger et travailler à construire l’architecture de sécurité collective en Europe et au-delà.

Plus que les Etats, c’est la mobilisation populaire qui doit œuvrer à la grande paix. Les interventions du Sommet international pour la Paix en Ukraine qui se sont tenues le week-end dernier à Vienne sont ainsi encourageantes. Mobilisant les organisations de défense de la paix, syndicales, associations, forces progressistes, diplomates des quatre coins du globe, un vibrant appel à la paix a été déployé. Donnant à voir le difficile combat des pacifistes russes et ukrainiens, ce sommet a démontré les conséquences globales de la guerre en Ukraine (notamment sur les denrées alimentaires) et les moyens d’aboutir à une solution politique au conflit, conformément au droit international et au respect de l’intégrité territoriale de l’Ukraine. La France, par la voix qu’elle peut porter, doit jouer un rôle singulier. Les organisations démocratiques et progressistes doivent notamment amener la France à s’engager sur le désarmement et s’engager en tant qu’observateur actif du traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN).

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