Ma semaine au sénat : semaine du 10 au 16 février 2025

16 Fév 2025

Loi d’orientation agricole 

Cette semaine, le Sénat a terminé l’étude de la loi d’orientation agricole (LOA), dont la version finale dépendra d’une Commission Mixte Paritaire. 

Ce texte était très attendu, car devait répondre à la problématique du renouvellement agricole, alors qu’un.e agriculteur.trice.s sur deux aura atteint l’âge légal de la retraite à l’horizon 2030. 

Cependant, les propositions apparaissent insuffisantes : en lieu et place d’un accompagnement humain nécessaire, il est prévu la mise en place à horizon 2027 d’un guichet unique pour faciliter les cession/installations, et d’un dispositif de soutien financier à partir de 2026. Si ces mesures vont dans le bon sens, il ne traite pas en profondeur de la problématique du foncier agricole. 

De plus, le texte a été considérablement élargi à l’aune de la crise agricole et des élections professionnelles, conduisant à une nouvelle version qualifiée unanimement de « fourre-tout ». 

Les sénateurs de droite ont réécrit l’article programmatique qui ouvre le Code rural et de la pêche maritime, qui disposerait que l’agriculture est « d’intérêt général majeur ». 

Il m’apparaît extrêmement réducteur de considérer que seul.e.s les agriculteur.trice.s sont responsables de la souveraineté alimentaire, sans prévoir des mesures fortes à l’égard des intermédiaires de transformations et géants de la distribution. Autre incohérence des macronistes, cette loi ne prévoit aucune mesure contre les traités de libre-échange. 

En bref, ces termes très flous risquent de générer plus de difficultés juridiques qu’ils n’en règlent, et sous-tendent une idéologie qui voudrait placer au même niveau la défense du modèle agricole actuel et la protection de l’environnement. 

Une fois de plus, le gouvernement et la droite sénatoriale cherchent à appauvrir le débat en en opposant, de manière caricaturale, le travail agricole et la protection du vivant. 

Il nous faudra donc être sur nos gardes pour que ce qualificatif « d’intérêt général majeur » ne soit pas utilisé pour imposer à marche forcée des grands projets d’extensions d’exploitation agricoles ou de méga-bassines. Et la vigilance est de mise puisque cette loi porte avec elle une vision rétrograde de ce que doit être l’agriculture de demain. 

Le mot agroécologie a disparu du texte, pour être remplacés par l’expression « adaptation au changement climatique » : il ne s’agirait donc plus de lutter contre l’épuisement du vivant en développant les pratiques agronomiques plus vertueuses, mais de dériver vers un technosolutionnisme nocif. 

Ont également été votées par le droite sénatoriale la suppression partielle de l’interdiction des pesticides sans « solutions économiquement viables et techniquement efficaces », une revendication de longue date de la FNSEA, et la fin des effectifs chiffrés sur la culture biologique (à hauteur de 20% des terres agricoles). 

Enfin, une dernière mesure a été prise, pour réduire le quantum de peine applicables à l’abattement des espèces protégés, qui pourront désormais relever d’une simple procédure administrative. 

Alors que le bloc réactionnaire, qui se dessine désormais des macronistes jusqu’à l’extrême droite, déploie une politique extrêmement répressive comme seule réponse aux nombreux sujets qui traversent notre société, force est de constater qu’iels font ici preuve d’une véritable souplesse. 

Un positionnement qui interroge, lorsqu’il est mis en parallèle avec la teneur des débats de la semaine à l’Assemblée nationales, autour d’une nouvelle réforme de la justice des mineur.e.s. 

Réforme de la justice des mineurs 

A l’occasion d’une interview à Public Sénat ce vendredi, j’ai pu m’exprimer sur le projet de loi visant à durcir la justice des mineur.e.s, qui a été voté le 13 février à l’AN. 

Porté par Gabriel Attal, ce texte a été soutenu par le bloc réactionnaire, et prévoit notamment la fin de l’exception de minorité de principe (une revendication de longue date du RN), la création d’une procédure de comparution immédiate pour les mineur.e.s de plus de 16 ans pour des faits graves ou en récidive, et nombre de mesures ont été prises pour renforcer la pénalisation des parents, conformément aux demandes des LR.  

Un triste signal envoyé alors que nous fêtons les 80 ans de l’ordonnance pénale des mineurs de 1945 : désormais, la justice des mineurs n’est appréhendée que sous son angle répressif, annihilant l’objectif éducatif qui devait irriguer ce pan du droit pénal. 

Cette réforme a été faite contre l’avis de l’ensemble des professionnel.le.s de justice, et ne se base sur aucun fait sérieux : contrairement à l’idée que tente de diffuser le gouvernement, la délinquance des mineur.e.s est au même niveau qu’en 1990. 

Alors que la PJJ a été amputé d’une centaine de poste à l’été 2024 par Gabriel Attal, qu’on compte actuellement un magistrat pour 400 enfants suivis et que l’ASE fonctionne de manière extrêmement dégradée, ce texte n’apporte aucune solution concrète mais permet, une fois de plus, au tandem Retailleau-Darmanin de saturer l’espace médiatique avec un discours rétrograde et stigmatisant.   

Car je garde à l’esprit que cette loi a été annoncée comme une réaction aux mobilisations suite à l’assassinat du jeune Nahel par un policier, et qu’elle s’inscrit à ce titre dans un continuum qui vise en premier lieu à réprimer la jeunesse des quartiers populaires. 

Commission d’enquête sur l’utilisation des aides publics par les grands groupes et leurs sous-traitants 

Pour cette troisième semaine de commission d’enquête dont je suis rapporteur, nous avons notamment auditionné Messieurs Marc Auberger et Ilyes Bennaceur pour l’inspection générale des finances (IGF), trois économistes : Messieurs Combes, Cordonnier et Melmies et un journaliste : Monsieur Petitjean. 

Lors des échanges avec les représentants de l’IGF, il nous a été précisé que les administrations publiques nationales se confrontent à de nombreuses difficultés pour établir avec exactitude le montant global des aides publiques, de toute nature, versées aux entreprises. 

Concernant les allégements fiscaux, l’auditionné a indiqué qu’un contrôle est bien opéré au moment de l’octroi de l’aide, mais qu’il n’existe, par la suite, aucun mécanisme pour réaliser le suivi et l’évaluation de ces mesures. 

Il a également souligné que lors du renouvellement de dispositifs, il n’existe aucune évaluation et qu’ils peuvent ainsi perdurer dans le temps alors qui n’ont pas démontrés de leur efficacité. 

Enfin, ils ont fait le constat d’un manque de vision globale sur les aides publiques, en l’absence d’une instance nationale en charge de piloter ce pan de l’action publique. Actuellement, l’octroi et le contrôle fonctionne en silo entre les différentes administrations et opérateurs :  URSSAF, DGFIP, France 2030, BPI, ADEME, CNC … 

Concernant les autres auditions, de nombreux sujets ont émergé. 

Les auditionnés ont insisté sur le fait que la transparence et lisibilité des aides publiques aux entreprises est un vieux combat … sur lequel il y a très peu d’avancées. 

Actuellement, en termes de volumes, ils nous ont indiqué que les aides indirectes (exonérations d’impôt) étaient bien supérieures aux aides directes (comme les subventions). Cela participerait donc encore à aggraver la lisibilité de l’utilisation de ces fonds publics, car la France a une grande tradition du secret fiscal, et que se sont développées ces dernières années de nombreux intermédiaires, comme la BPI, qui agissent comme des sortes d’écrans. 

Au-delà de la transparence, il est apparu opportun aux auditionnés de nous présenter un double mécanisme de conditionnement des aides publiques : 

  • Pour prétendre obtenir une aide publique, quelle qu’en soit la nature, les entreprises doivent respecter la loi française, que ce soit sur le respect des réglementations en matière d’emploi des femmes, des personnes handicapées, ou encore environnementale. 
  • Ensuite, pour obtenir une aide en particulier, cela devrait se faire en contrepartie d’objectifs clairement posés en amont de l’octroi de l’aide. Ce deuxième prérequis serait essentiel pour réaliser par la suite un suivi de l’utilisation des fonds, et poser en amont des critères permettant l’évaluation du dispositif. 

Il a également été précisé que les aides publiques devraient d’abord être mises en œuvre à titre expérimental, avant d’en généraliser la pratique : cela permettrait d’étendre uniquement les dispositifs vertueux. 

Enfin, nous avons échangé autour des objectifs dans l’utilisation de ces fonds : pour certains auditionnés, des aides publiques permettraient bien de créer de l’emploi, mais la question serait davantage : à quel prix pour les finances publiques ? 

Par exemple, pour le CICE, il semble qu’une des évaluations les plus optimistes établisse qu’un emploi créé, pour un an, aura coûté près de 80 000 euros à l’Etat. 

Enfin, il a été établi que les mesures d’aides aux entreprises sont compensées en partie, dans les finances publiques, par les prélèvements fiscaux sur les ménages et que cela redessine progressivement l’organisation fiscale de notre pays. 

Les auditionnés se sont prononcé, comme les représentants de l’IGF, en faveur de la création d’une instance unique et nationale pour piloter de manière claire l’ensemble des aides publiques considéré comme incitatives pour les entreprises. 

Ils ont conclu leurs auditions en élargissant la problématique posée : les aides publiques serviraient actuellement de béquille à la rentabilité des entreprises françaises dans un contexte macro-économique dépressionnaire en Europe, qui amène une concurrence accrue entre pays membre qui ne fonctionnerait que sur une chasse permanente aux coûts salariaux. 

« Il s’agit ici presque d’un travail d’explorateur car les aides publiques aux entreprises constituent une sorte de jungle encore vierge dans laquelle l’État lui-même hésite à s’aventurer ou s’aventure dans les hésitations. »

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