Certains, notamment au sommet de l’Etat, voulaient garder le projet secret. A leur grand regret, la vérité a éclaté et heureusement. Via l’opération « Wuambushu », débutée depuis ce 21 avril, consiste à mener une opération massive d’expulsions de Comoriens de l’île de Mayotte, départementalisée depuis 2011.
Alors que la situation est socialement délétère sur l’île, avec un taux de pauvreté de 80%, la présence de l’Etat se résume avant tout à un choix géopolitique de présence militaire de la France dans l’Océan indien. C’est ainsi que la gestion n’est conçue qu’à travers un prisme sécuritaire, perçu comme un territoire assiégé.
Pourquoi ? Il faut faire un bref rappel historique. Mayotte ne devrait pas être sous administration française. C’est tout simplement un « héritage » d’une décolonisation tronquée pour l’archipel des Comores, ex-colonie française et indépendante depuis 1975. Or, prétextant les divisions qu’elles avaient elles-mêmes entretenues entre les quatre îles au moment du référendum d’autodétermination, les autorités françaises ont maintenu Mayotte sous administration française au motif que cette île avait refusé la séparation d’avec la métropole. C’était pourtant le score global qui prévalait. La France viole donc le droit international depuis près de 50 ans, comme le rappelle l’Assemblée générale de l’ONU, et donc les Etats, appelant Paris à « respecter l’unité et l’intégrité territoriale des Comores ». Pendant que l’Etat français faisait miroiter la prospérité aux Mahorais, la Françafrique tournait à plein régime pendant des décennies aux Comores, avec plusieurs déstabilisations et soutiens à des coups d’Etats.
Mayotte est un rapt colonial et à ce titre est administré sur un modèle qu’on souhaiterait dépassé.
Les relations intimes, culturelles, familiales entre les populations comoriennes de tout l’archipel, additionnées à la paupérisation croissante de cette partie de l’Afrique, ont renforcé depuis 20 ans les migrations vers ce qui est perçu comme un « eldorado ». Mayotte, porte d’entrée vers un territoire lié à une puissance européenne, est devenu un élément structurant de la vie régionale. Il est désormais établi que l’écrasante majorité des familles comoriennes ont un proche sur cette île ou qui y est passé pour rejoindre ensuite la métropole.
Depuis plusieurs années, les gouvernements successifs n’ont voulu traiter ce sujet par le biais uniquement répressif et ont ouvert des dangereux précédents. Le « visa Balladur » en 1995 a restreint les passages entre les îles comoriennes et Mayotte, interdisant également le transit vers la métropole. Alors que la départementalisation est en marche et avec l’uniformisation du droit commun républicain, les dérogations sont devenues légion notamment sur les pouvoirs élargis des forces de sécurité et sur la suspension d’un droit fondamental de notre République : le droit du sol.
Être migrant n’est pas illégal
Alimentant la théorie fumeuse d’un envahissement et d’une stratégie de « mères pondeuses » qui viendraient accoucher à Mayotte pour être régularisées, les autorités locales et nationales ont créé une logique d’affrontement entre populations, amenant les « natifs » à s’en prendre de plus en plus régulièrement (via des milices bénéficiant d’une mansuétude inadmissible) aux arrivants, logés dans des bidonvilles de fortunes. Les ingrédients sont réunis pour des cycles de violence. Le vice-président du Conseil départemental de Mayotte, Salim Mdere, a même déclaré à la télévision qu’il fallait « peut-être tuer » (sic) des migrants, qualifiés de délinquants et terroristes, reprise heureusement par la journaliste. Jusqu’où ira-t-on dans l’horreur ?
C’est pourtant l’absence totale d’Etat social et républicain qui explique ceci: en plus de la pauvreté, absence de services publics de base (école, état civil, hôpital). 45% de la population a déjà renoncé aux soins comme l’a établi la commission des affaires sociales du Sénat, décrivant « un système de soins à bout de souffle ». Les écoliers effectuent des demi-journées de classe pour permettre un roulement et accueillir tous les enfants… Plusieurs grèves générales ont rythmé la vie de l’île depuis 2017 pour tirer la sonnette d’alarme, sans succès…
L’opération « Wuambushu » est ainsi le point d’orgue de cette stratégie du pire. Ce sont plusieurs milliers de personnes qui sont prévues d’être expulsées, soit environ 300 par jour. Pour se donner une caution, le ministère de l’Intérieur annonce mettre fin aux bidonvilles et faire œuvre de salubrité publique. Depuis 2020, 1800 habitations ont déjà été détruites, ce qui n’a rien résolu.
Mais plus que jamais, c’est bien la chasse aux pauvres, aux damnés de la terre qui se fait jour ici, s’appuyant sur une pratique coloniale dont notre histoire est jalonnée de sombres épisodes. Ces migrants, venus par radeaux de fortune, sont environ un millier à disparaître chaque année dans des embarcations de fortune dans l’Océan indien, situation dont on fait trop peu état en raison de l’éloignement géographique comparé à la Méditerranée ou à la Manche. Rappelons la blague douteuse du président Macron qui, parmi ses nombreuses sorties méprisantes, s’était moqué de ces kwassa-kwassa qui « pêchent peu mais ramènent du Comorien »…
La population locale se prépare à cette terrible opération puisque beaucoup ont déjà fuit leurs habitations de fortunes pour se réfugier dans les forêts avoisinantes. D’autres, tombés aux mains de réseaux trafiquants, s’arment. L’atmosphère est pesante et tout porte à croire que les violences seront nombreuses.
Les associations, l’UNICEF notamment mais également de nombreux fonctionnaires territoriaux, des syndicats alertent sur ce danger. Des mineurs non accompagnés et des enfants en bas âge vivant sur le territoire verraient leur suivi déjà précaire s’aggraver, des personnes qualifiées d’illégales ont fondé des familles avec des Français·e·s et pourraient être séparées du jour au lendemain. Voilà le laboratoire des politiques migratoires pour M.Darmanin qui souhaite certainement remettre un certain nombre d’acquis républicains sur le droit d’asile, la nationalité ou encore l’accès aux droits sociaux de toute personne même migrante. Le tribunal judiciaire de Mamoudzou a annulé le démantèlement d’un bloc d’habitat insalubre, estimant qu’il y avait une voie de fait sur le risque de détruire l’ensemble des biens des personnes expulsées et de solutions d’hébergement pas du tout à la hauteur des besoins humains.
Fruit d’une suspicion généralisée et d’une régression constante depuis 30 ans et accélérée sous la présidence de Nicolas Sarkozy, la politique migratoire de la France s’apparente chaque jour un peu plus comme un instrument de division dans le débat public (comme le prévoit les futures lois immigration flattant et puisant dans les idées d’extrême-droite) mais aussi de véritables coups de canifs contre nos libertés publiques.
Mayotte aujourd’hui, la Guyane demain et la métropole ensuite. Ne nous trompons sur cette opération qui n’est pas anodine.
Rappelons tout de même que ces expulsions sont prévues sans concertation avec les autorités comoriennes qui ont déjà exprimé leur refus d’accueillir ces populations. Non seulement par volonté mais aussi parce qu’elles n’en n’ont pas les moyens. La France va-t-elle s’en prendre à un Etat souverain pour le forcer à accueillir ces migrants, dont certains sont de nationalité française ? En réalité, cette action ne peut se faire que par la violence et la militarisation de cet enjeu. C’est absolument intolérable et irresponsable.
Nos amis comoriens, présents en nombre dans nos territoires et notamment dans mon département de Seine-Saint-Denis, sont légitimement inquiets. Nous leur devons assistance et solidarité car cette offensive réactionnaire et brutale nous concerne dans notre humanité et pour nos droits. La dénomination des Comores vient de l’arabe qui signifie « Iles de la Lune ». Le gouvernement, s’honorerait au nom de l’histoire de notre pays, àne pas lever un voile sombre sur les idéaux républicains qui fonde notre pays.