Les derniers événements tragiques mêlant des adolescents nous plongent dans l’effroi. En l’espace d’un mois, plusieurs jeunes ont tué ou ont été tués dans des affaires de règlement de compte liées au trafic de stupéfiants.
Le ministre de l’Intérieur a marqué le terrain à chaque fois pour illustrer sa détermination à enrayer le narcotrafic et le risque d’une « mexicanisation » du pays, expression désignant une société gangrénée par des groupes délinquants ultraviolents.
Il est vrai que les chiffres de cette année 2024 illustrent une dégradation nette et un problème réel : 182 assassinats et tentatives d’assassinats ont eu lieu dans le cadre de règlement de comptes liés au trafic, une tendance supérieure aux années précédentes.
Acteur principal de la commission d’enquête sur le narcotrafic en France qui a rendu ses conclusions au printemps dernier, Bruno Retailleau y a puisé l’essentiel des mesures du plan gouvernemental qu’il a présenté le vendredi 8 novembre en compagnie de Didier Migaud, ministre de la Justice.
Les principales mesures en sont les suivantes :
- création d’une coordination nationale des magistrats dédiée à la lutte contre le narcotrafic qui devrait aboutir à un parquet national spécifique, instauration d’un délit de « crime en bande organisée » avec des cours d’assises spéciales composées de magistrats professionnels. A terme, il y a également l’idée de créer un office de lutte contre les stupéfiants sur le modèle de la DEA étatsunienne.
- Lutte contre le blanchiment d’argent par un pouvoir renforcé des préfets contre les commerces écrans
- Assouplissement de l’excuse de minorité pour les jeunes délinquants dans les affaires de règlement de compte
- Création d’un statut du repenti
- Coopération renforcé avec les pays de transit des drogues
- Campagnes de culpabilisation des consommateurs
Le locataire de la place Beauvau veut marquer le terrain et marquer un volontarisme certain. Des mesures sont salutaires et basées sur les demandes des corps judiciaires et policiers pour mieux coordonner l’action. La logique du projet est celle de construire un droit d’exception au nom d’une situation inédite. Le ministre de l’Intérieur l’avait annoncé : il veut radicalement changer le droit, jugé pour lui inefficace en l’état. Nos sociétés seraient trop faibles face à la violence et seul un cap sécuritaire pourrait répondre à ce défi.
Disons un mot de cette formule de « mexicanisation », blessante et réductrice pour nos amis mexicains et qui n’est pas anodine. Dans les années 2000, le gouvernement mexicain a impulsé une répression féroce et aveugle aux groupes délinquants au nom de la lutte antiterroriste. Le niveau de violence s’est encore plus développé, favorisé par la circulation des armes issues des Etats-Unis. La corruption et l’infiltration de l’Etat par les narcotrafiquants s’est encore plus renforcée. Depuis la victoire de la gauche en 2018, la violence n’a malheureusement pas été éliminée mais une politique proactive tente d’enrayer les causes des trafics et notamment les conditions matérielles qui permettent son développement. D’autres Etats en Amérique latine notamment, dont une partie de leur territoire souvent hors de contrôle est une base importante de production, demandent un changement de logiciel sur la logique uniquement répressive qui est inefficace. En plus de l’inefficacité de la seule répression, brutale qui plus est, il faut souligner que le trafic progresse partout où les Etats sont faillis, où les politiques libérales ont fait leurs dégâts, où la guerre a fait de ce commerce un intérêt profitable immédiat.
C’est donc à dessein que sont utilisées des formules et un ton martial. Les outrances de l’extrême droite ou du député Karl Olive sur l’intervention de l’armée traduisent cette fuite en avant qui a pourtant échoué partout ailleurs. Le cynisme conduit la droite et l’extrême droite à déplorer la faiblesse de l’arsenal juridique pour le changer radicalement et le soustraire au respect de l’Etat de droit. Parce que les criminels commettent des horreurs, il faudrait leur répondre sur ce même terrain. Mais l’engrenage ne fait que s’alimenter. D’ailleurs, les groupes narcotarfiquants sont diversifiés et participent d’autres réseaux criminels d’êtres humains, d’armes, de blanchiment d’argent…tout cela sur les failles des systèmes de sécurité. Failles qui sont encore une fois permises par les largesses laissées dans les politiques libérales.
Ce n’est pas être angéliste ou naïf que de vouloir agir sur les raisons sociales des trafics. Celui-ci a évolué et s’adapte rapidement selon les évolutions de la société. Les dégradations des conditions de vie, l’affaiblissement de ce qui fait office de protection et de surveillance, comme les services de douane, ont ouvert des circuits de trafic insoupçonnés. La délinquance est l’archétype d’un capitalisme sauvage, sans règles si ce n’est celle de la violence.
Celles et ceux qui sont pris en étau dans le trafic, petites mains (jeunes et autres personnes vulnérables) sont aussi des victimes. Il faut réguler de manière juste, ce qui ne peut se faire sans une politique de justice sociale et de prévention en plus des investigations judiciaires et policières. Le démantèlement de nos services publics, de la police judiciaire, des structures de prévention ouvrent des nouveaux sentiers pour toutes les criminalités. Quand on voit le jeune âge des profils impliqués dans les règlements de compte, il faut d’abord mettre en accusation la société. A chaque fois, ce sont des jeunes au parcours chaotique, de familles déstructurées, d’une violence banalisée dès le plus jeune âge, qui en font des proies pour les recruteurs.
Il est d’ailleurs assez saisissant que la lutte contre l’évasion fiscale ne soit pas au menu d’un projet de lutte contre le trafic quand on sait que les délinquants qui brassent des millions se jouent des faiblesses des systèmes financiers.
La prévention est la meilleure des politiques et s’il faut bien empêcher les conduites à risques, les campagnes de communication moralisantes (« un joint a le goût du sang ») n’y feront rien. La dépénalisation doit être un débat surtout pour ne pas tomber dans l’illusion dangereuse d’une légalisation des drogues, irresponsable et qui n’empêchera pas les trafics comme le montre l’exemple étatsunien. La prévention est une politique spécialisée, sanitaire et sociale, pour s’adresser aux publics à risque, tentés par la consommation de stupéfiants. A l’heure où ce secteur est sinistré, il ne faut pas s’étonner des consommations irraisonnées et des comportements dangereux.
Agir contre tous les trafics, c’est replacer les besoins humains, construire une justice efficace et bien dotée mais surtout rendre effective nos principes humanistes et républicains.