OQTF, vous avez dit OQTF ?

8 Oct 2024

Après l’horrible meurtre de Philippine, l’extrême droite instrumentalise un féminicide pour imposer son agenda politique.

Je sais que nous sommes maintenant dans la culte de l’immédiateté, du réseau social instantané. Mais je voulais prendre du recul car comme chacun, j’ai été horrifié par ce crime terrible. Nos pensées solidaires vont à la famille de la victime.

Les violences systémiques contre les femmes ont été évacuées pour accuser toutes les personnes étrangères. Associant délinquance et immigration, lutte contre les violences faites aux femmes et lutte contre l’immigration, ce procédé produit des amalgames insupportables.

Les violences sexuelles et sexistes n’ont malheureusement pas une origine culturelle, ethnique ou religieuse. Nous le voyons encore avec le procès de la terrible affaire des viols de Mazan.

Ces violences sont le fruit d’idées rétrogrades infériorisant les femmes à qui on nie le droit à disposer de leur corps, et dont on ignore le consentement.

C’est le sexisme quotidien, la misogynie, la culture du viol ancrés dans les schémas de pensée produits par le système patriarcal et qu’il convient d’éliminer en agissant pour une égalité réelle entre femmes et hommes.

L’extrême droite, la droite et les éditorialistes de plateau, relayés par des influenceurs haineux pointent avec délectation la figure du criminel : le migrant, souvent sans-papier et qui serait sous une procédure d’expulsion, une OQTF. La France serait submergée, d’après ces réactionnaires, par des gens venus d’ailleurs qu’on ne pourrait pas expulser et qui au fond imposeraient leur loi à la France. Une rhétorique classique, simpliste mais redoutablement efficace.

Pour répondre à ces polémiques sordides, définissons ce qu’est une OQTF. Il s’agit d’une obligation de quitter le territoire français, une mesure de droit prononcée pour éloigner du territoire national une personne qui a effectué une demande d’asile ou de titre de séjour. Cela peut concerner des migrants ayant divers statuts : un étudiant étranger qui change de cursus ou de visa pour entrer dans la vie professionnelle, un réfugié débouté, un détenteur d’un visa court ou long séjour qui veut renouveler son titre  mais qui n’arrive pas à joindre l’administration voire un jeune majeur qui ne bénéficie plus du statut de mineur non accompagné.  

Les situations sont donc diverses. C’est au préfet d’exécuter ces mesures qui s’accompagnent souvent de placement en résidence surveillée ou en centre de rétention administrative (durée élargie à 90 jours depuis la dernière loi immigration) et d’Interdiction de retour sur le territoire français.

La France est le pays d’Europe qui prononce le plus d’OQTF (plus de 110 000 par an depuis 2018).

Depuis la loi CESEDA de 2006, avec le ministre de l’Intérieur de l’époque Nicolas Sarkozy, l’immigration a été pensée sous l’angle d’une politique de répression et de suspicion. Le recours aux expulsions est devenue la règle.

Le taux d’exécution de ces OQTF est pourtant relativement faible. Cela s’explique, non par un quelconque laxisme, mais par le fait que les recours existent pour contester ces décisions.  Celles-ci sont annulées en raison d’erreurs de dossiers de l’administration ou non appliquées car la personne incriminée a pu régulariser sa situation administrative.

C’est aussi et surtout la question des laissez-passer consulaire qui doivent être fournis par le pays d’origine de l’individu, avec des délais très aléatoires. Cela dépend en général de l’état des relations bilatérales entre la France et le pays en question.

La numérisation des procédures en préfecture crée par ailleurs de nombreux sans-papiers. Le délai d’attente pour obtenir un rendez-vous dépasse souvent la durée d’un titre de séjour, créant une situation de précarité administrative aux conséquences sociales désastreuses.

En tant que parlementaire, j’ai alerté sur ce phénomène reconnu comme une discrimination par le Défenseur des droits.

La non-reconnaissance des droits des mineurs non accompagnés, suspectés de tricher sur leur âge, jette enfin dans nos villes de jeunes errants et vulnérables, proie de réseaux criminels.

Disons-le clairement : les procédures légales, les directives préfectorales alimentent une machine à créer des sans-papiers. Empêcher le renouvellement des titres de séjour et compliquer les parcours créent des situations d’instabilité. Les OQTF sont l’aboutissement de ce processus absurde et humiliant qui finit souvent dans la violence de l’incarcération en centre de rétention administrative (CRA) et l’expulsion.

C’est une véritable injustice et nombreux employeurs, commerçants et artisans qui sollicitent beaucoup de profils de travailleurs immigrés le disent également. Beaucoup de ces immigrés ont créé des attaches sur le territoire national par le travail ou l’implication dans la vie locale.

Pire, ce que ne disent pas les réactionnaires en tout genre, c’est qu’il y a déjà eu des cas d’expulsions du territoire national, sans jugement administratif, ce qui est illégal en Etat de droit, de concitoyens Français dont on a seulement considéré dans la binationalité uniquement celle du pays d’origine.

Il y a évidemment des délinquants, des criminels parmi les personnes étrangères. Dire cela ne doit pas justifier une restriction des droits et des généralisations racistes.

Peut-on évoquer, sans dédouaner les méfaits de certains individus comme le meurtrier de la jeune Philippine,  les carences dans le suivi judiciaire et médical ?

Si on veut évoquer le rapport à la loi, combien de droits fondamentaux ne sont pas respectés pour ces populations qui ont fui la guerre, l’oppression et qui ne demandent qu’à vivre décemment comme tout à chacun. La vie n’est pas un long fleuve tranquille ni une voie privilégiée pour les immigrés dans notre pays.

La France se met régulièrement en violation de la convention internationale des droits de l’enfant comme lorsque cette jeune fille de 10 ans a été  enfermée cet été sans ses parents en centre de rétention. Or, un enfant n’est pas sans-papier quelle que soit la situation administrative de ses parents.

Au-delà des procédures numériques pour obtenir un rendez-vous en préfecture, il faut dénoncer le scandale des rendez-vous en préfecture par des réseaux de vente largement toléré par les autorités et qui alimente une concurrence entre personnes précaires.

Quid enfin de ces travailleurs sans-papiers, qui vivent ici, travaillent ici et contribuent à la richesse nationale à qui on dénie les droits fondamentaux ?

Ce sont les employeurs qui contreviennent ici à la loi avec parfois des situations d’exploitation humaine dignes de l’esclavage moderne comme dans les vignes.

En plus de jeunes vulnérables, comment ne pas évoquer la situation des femmes migrantes notamment isolées qui se retrouvent jetées dans des réseaux de traite humaine et de prostitution ?

Quant au fantasme du tourisme médical, le comble vient de la volonté de suppression de l’aide médicale d’Etat (AME), contraire au principe universel de santé pour toutes et tous. Ces mêmes thuriféraires de la solidarité, au-delà de leur inhumanité, sont pourtant bien silencieux quand il s’agit de dénoncer les atteintes à la Sécurité sociale, le déremboursement des médicaments ou les déserts médicaux.

Loin d’être des délinquants en puissance, les populations migrantes sont les premières victimes lorsqu’ils subissent les contrôles au faciès, les discriminations au logement, à l’embauche.

L’immigration est un phénomène mouvant et des personnes viennent et repartent. Ces personnes participent à la vie sociale, citoyenne, économique de notre pays. Elles et ils méritent mieux que des caricatures et des injures.



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