Simplifier, ce n’est pas enfumer

28 Mai 2024

Tout à leur logique libérale qu’ils s’évertuent à voir couronnée de succès, les tenants de la majorité présidentielle ont eu une nouvelle et brillante idée.

Dans la lignée de la simplification de la loi Pacte, de la loi agriculture, voilà que le ministre de l’Economie Bruno Le Maire veut déployer la fiche de paie simplifiée.

Le principe est pour ainsi dire simple : réduire les notifications de la fiche de paie pour y faire apparaître le montant brut et le montant net. Les informations détaillées sur les cotisations, la fiscalité seraient disponibles à la demande du salarié sur un portail sécurisé, pour qui d’ailleurs, appelé portail des droits.

Cela paraît a priori indolore et assez peu politique. Ce n’est évidemment pas le cas et c’est même une opération idéologique d’ampleur qui est incarnée par cette procédure.

Effacer les lignes relatives aux cotisations et à la fiscalité, aux caisses d’assurance chômage, retraites, c’est renvoyer l’idée que la rémunération n’est pas un enjeu de bataille entre le salarié et son employeur. C’est la première chose dans le rapport de forces entre capital et travail.

Le salaire est une part de la richesse créé par le travail effectué. La fiche de paie est un des éléments de protection des salariés car il reconnaît le lien (de subordination) entre le salarié et l’employeur, donne à voir l’ensemble des composantes d’un salaire. Il y a évidemment le salaire net en bas de la fiche de paie mais dans l’ordre l’ensemble des contributions qui composent la rémunération et qui alimentent le système de solidarité : le salaire brut, les cotisations patronales et salariales, les contributions aux régimes d’assurance-chômage, d’assurance maladie, aux caisses de retraite ainsi que les différentes taxes et depuis quelques années le taux d’imposition sur le revenu. Le salaire ouvre donc des droits sociaux et collectifs.

Le gouvernement veut réaliser un rêve du grand capital : en finir avec les dispositifs de solidarité et la différence salaire brut/salaire net. Il s’agit de justifier les rémunérations en prime, en intéressement pour faire croire qu’une hausse de rémunération n’est possible que si la performance de l’entreprise le permet ou que les résultats doivent être partagés selon le mérite.

Rappelons que les primes et l’intéressement sont exonérés de cotisation et ne sont pas fiscalisés, ce qui dépolitise et individualise la relation entre le salarié et l’employeur.

Mais Bruno Le Maire est comme celui qui ne veut pas voir l’éléphant au milieu de la pièce. Le problème principal reste le « montant » du salaire. Le travail paie trop peu, notamment en ce qui concerne les métiers les plus difficiles et les moins qualifiés.

Au cœur des batailles dans de nombreux secteurs, les salaires sont un enjeu de bataille intense. Malgré des progrès dans des négociations de branches, douze branches restent en-dessous du SMIC qui n’est revalorisé qu’au niveau de l’inflation. La hausse des prix a ralenti mais a fortement pénalisé les travailleurs et les travailleuses dont la moitié touche moins de 1850 euros par mois, un montant insuffisant pour répondre aux différentes dépenses courantes. C’est donc une véritable revalorisation du SMIC et au-delà une hausse générale des salaires et du point d’indice pour les fonctionnaires qui est nécessaire. Portée par les forces de gauche en 2022, les libéraux soutenus par l’extrême droite ont évidemment défendu les positions patronales sur les primes.

C’est une bataille cardinale qu’il faut repolitiser d’urgence car la confusion est savamment entretenue. Le RN se targue ainsi de vouloir augmenter les bas salaires de 200 euros en exonérant de cotisations patronales ces rémunérations. Il faut en tout cas se saisir de ce sujet qui a été au cœur des dernières mobilisations d’ampleur, des Gilets jaunes au mouvement des retraites.

Pourtant, les bas salaires sont déjà largement exonérés sans que cela n’ait favorisé des rémunérations dignes. Sur un SMIC, les aides publiques d’Etat  représentent 700 euros. La puissance publique finance donc la précarité et aucun bilan n’est permis pour les 80 milliards d’aides publiques aux entreprises.

Par ailleurs, à l’occasion de Choose France, rencontre internationale où le président de la République reçoit des dirigeants de grande entreprise pour vanter l’attractivité de notre économie. Parmi ses arguments phares, la baisse du « coût du travail », illustrant ainsi que la concurrence entre travailleurs alimente le nivellement par le bas des salaires et des droits sociaux.

La simplification de la fiche de paie constitue bien une opération dangereuse quant à la répartition autour des richesses. Il est essentiel que les forces du travail et de la création s’organisent pour refuser cet enfumage.  

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